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c'est ma mère qui l'a dessiné et moi qui l'ai colorié
Par Séverine Sileig, le 20.10.2014
magnifique vraiment il n'y a pas d'autres mots
Par Maïté, le 20.10.2014
sublime poème d'amour
Par Maïté, le 20.10.2014
superbes paroles, superbe chanson
Par Maïté, le 20.10.2014
j'adore
Par Maïté, le 20.10.2014
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Date de création : 05.06.2014
Dernière mise à jour :
07.11.2014
161 articles
Au cours d'un congrès de police à Avignon, la fille du commissaire Martin Schuller est kidnappée à l'endroit même où quelques années plus tôt était retrouvé le cadavre d'une petite fille du même âge. Le meurtre n'avait jamais été élucidé. Martin comprendra bien vite que les deux enlèvements sont liés à une affaire que le policier aurait aimé oublier ainsi que ses collègues. Commence une course contre la montre pour retrouver Ophélie vivante. Vont-ils arriver à temps pour éviter le suicide d'un innocent et retrouver Ophélie vivante, tout cela en masquant l'un des plus terribles secrets d’État?
Carpentras
Assise à l’avant de la voiture, marraine se retourna.
-Regardez ! On arrive ! On est à Carpentras. Plus que 9 km et on sera à Malemort.
Yuna s’étira comme un petit chat sortant du sommeil et jeta un regard par la fenêtre de la voiture. Carpentras, enfin ! Le long voyage prenait se terminait.
Pas trop tôt, songea Guirec. Non pas que le voyage eut été désagréable. Confortablement installé dans les sièges en cuir beige, à l’arrière de la Peugeot 405 Sti verte de son grand-père, Guirec avait passé la presque totalité du voyage à jouer et à regarder des DvD sur son nouvel ordinateur portable. Kevin, son meilleur ami, dont il était miraculeusement parvenu à faire accepter la présence à ses grands-parents avait passé une grande partie de son temps à jouer avec lui. Durant l’autre partie, il avait regardé le paysage. Tandis que Yuna avait dormi pendant presque tout le trajet. Sa sœur dormait toujours en voiture, même si elle avait passé une bonne nuit précédente à l’hôtel « Le Rully » en Bourgogne où l’on s’était arrêté à la moitié du trajet. Bon-papa ne voulait jamais faire la route en une fois. C’était trop long pour lui, 950 km. Sans compter qu’il ne roulait qu’à 50km/h de moyenne parce qu’il n’aimait pas conduire et que marraine avait peur en voiture. Il s’arrêtait toutes les deux heures pour se restaurer et se reposer. Bon-papa suivait toutes les consignes de sécurité. Et même pire… Marraine veillait au grain. Pas question de dépasser le 45-50 km/h sur les routes nationales, ni le 80-90 sur autoroute… Encore ne prenait-on pratiquement jamais l’autoroute.
La halte avait été agréable. Partis à 7h du matin de Meslan, on était arrivés en Bourgogne aux environs de 16h. Par chance, on avait évité tous les embouteillages.
Après avoir garé la voiture et la remorque sur le parking de l’hôtel, on était allé se rafraîchir, et pendant que bon-papa faisait une petite sieste et que marraine en profitait pour lire un roman, installée à l’ombre d’un parasol, Guirec, Yuna et Kevin en avaient profité pour piquer une tête dans la piscine et se faire dorer au soleil de cette magnifique fin d’après-midi.
Ensuite, Guirec avait profité du réseau Wi-Fi de l’hôtel pour surfer sur Internet et consulter sa boite à mails, avant d’aller manger au restaurant.
C’est en allant chercher le livre que son grand-père avait oublié dans la remorque que Guirec avait ressenti pour la première fois l’étrange sentiment d’être épié, espionné, alors qu’il était absolument seul sur le parking. Ayant l’oreille extrêmement fine, il était sûr et certain d’avoir entendu un froissement léger. Très léger même. Mais il n’y avait personne à l’endroit d’où provenait le bruit. Il n’y avait pas le moindre souffle de vent non plus.
Ensuite, les faits étranges s’étaient succédé. Il aurait pu admettre que le fait qu’il lui semblait avoir été effleuré par une ombre invisible et que la voiture lui auraitparlé,prononçant son prénom entre autres, était du au fait qu’il ait trempé ses lèvres dans le cocktail apéritif de son grand-père au restaurant… mais le problème était que cela s’était reproduit le lendemain matin, à peu de choses près. Lorsque son grand-père avait débranché l’alarme de la voiture avant de reprendre la route ce matin, au lieu de faire« Twiiit Twiiit »comme à son habitude, il était sûr d’avoir entendu une voix métallique prononcer« Guirec ! »
Il avait alors regardé autour de lui, demandant qui l’avait appelé, pensant même qu’on lui aurait fait une blague… Mais non ! Ses grands-parents, Yuna et Kevin pensaient pour leur part, très sérieusement, que c’était lui qui leur faisait une blague !
L’après-midi, pendant que bon-papa s’était couché afin de faire une petite sieste à l’ombre, le téléphone portable de Guirec s’était mis à sonner… mais aucun numéro ne s’était affiché sur l’écran. Pourtant lorsque le jeune garçon avait appuyé sur la touche « décrocher », il avait entendu prononcer distinctement son nom par une voix qui semblait déformée.
Heureusement, lorsque la chaine hi-fi de la voiture s’y était mise, marraine avait eu le même sentiment que lui… on aurait dit que la chaîne hi-fiéteinte, se mettait à parler toute seule…
Heureusement également, marraine avait aussi entendu que la voiture se mettait àchanterlorsque bon-papa tournait à droite… Cela prouvait au moins qu’il n’était pas fou, même si les autres commençaient à les regarder bizarrement marraine et lui !
-La chaleur peut-être !? Avait lancé ironiquement Kevin.
Malgré le fait qu’il ait emmené son PC portable, Guirec trouvait que le trajet avait été d’une lenteur exaspérante. Mais on ne referait pas marraine et sa phobie des véhicules quels qu’ils soient. Marraine travaillait au service administratif des pompiers. Tous les jours elle avait vent d’accidents graves, voir mortels. Elle avait fini par en faire une fixation. Pour elle, une voiture était un instrument de mort et il ne fallait l’utiliser que lorsqu’il n’était pas possible de faire autrement. Pour aller en vacances par exemple. Car, si marraine n’aimait pas la voiture, elle aimait encore moins le train… C’était d’ailleurs la seule époque de l’année où bon-papa utilisait sa voiture. Le reste du temps elle dormait au garage, ne sortant qu’une fois tous les deux mois lorsqu’ils allaient faire les grosses courses chez Auchan. C’était pour ça que la voiture était encore quasiment neuve alors qu’elle avait déjà plus de 7 ans.
Bon-papa gara la voiture sous prétexte de « dire bonjour à Carpentras » et de faire quelques photos tout en se dégourdissant les jambes. En réalité, c’était parce que marraine avait coutume d’expliquer que lorsque l’on faisait un long voyage, l’accident se produisait souvent à quelques kilomètres du lieu de destination… ou de la maison si l’on rentrait de voyage. Pour apaiser marraine, et aussi sans doute parce qu’il y croyait un peu aussi, bon-papa avait préféré faire une ultime halte. De toutes manières, on était presqu’arrivés. Cela ne venait plus à une demi-heure…
Ce n’était pas nécessairement l’avis des jeunes. Kevin était pressé d’arriver parce qu’il n’avait jamais vu Malemort du Comtat, ni même le Sud de la France. Yuna était pressée car elle mourait de chaud et d’envie de prendre une douche bien fraîche. Et Guirec lui, était pressé de voir s’il y avait un réseau Wi-Fi dans le quartier. Ce qui était fort peu probable, mais on pouvait toujours rêver !
Un bon gros quart d’heure plus tard, après que tout le monde se fut désaltéré une dernière fois, on remonta dans la voiture et bon-papa démarra. Guirec avait éteint son PC portable. Il avait beau faire l’esprit fort et prétendre ne jurer que par les grandes villes et les nouvelles technologies, il n’en n’était pas moins sensible au charme de ce petit coin de Provence où il était né et où il avait passé toutes ses vacances. Et puis aussi, son PC venait de lui jouer le même tour que la voiture, le téléphone et la chaîne hi-fi : l’écran s’était totalement brouillé et le motGuirecs’était inscrit une fraction de seconde avant de disparaître et de laisser place à l’écran habituel. Le jeune garçon avait l’impression de devenir fou et avait évité de parler de cette dernière expérience.
Quelques vingt minutes plus tard, on arrivait à Malemort du Comtat, petit village tranquille du Comtat Venaissin, situé entre le mont Ventoux, le plateau d’Albion et les monts de Vaucluse, entouré de vignobles, de cerisiers et d’oliviers.
Les grands-parents de Guirec et Yuna possédaient une maison sur le Cours. Ils l’avaient achetée une quinzaine d’années plus tôt. Auparavant, ils la louaient pour un mois, voir un mois et demi chaque été, et quelquefois pour quinze jours à Pâques. Jusqu’à ce que pour une question d’héritage la maison avait été mise en vente à un prix très raisonnable. Bon-papa et marraine avaient sauté sur l’occasion. Depuis, ils pouvaient venir en vacances quand bon leur semblait : à Pâques, à Noël, aux grandes vacances… pour la plus grande joie des enfants. Bon-papa gara sa voiture sur la place située devant la maison.
La voiture était à peine arrêtée qu’un cri de joie salua leur arrivée. « Popol », un très bon ami des grands-parents qui le connaissaient depuis plus de 30 ans, était assis à la terrasse du café du Cours et avait reconnu la voiture. Il les héla, heureux de les revoir et les invita à venir sedésoifferavant toute chose.
On s’assit, heureux d’être enfin arrivés et de pouvoir se raconter les dernières nouvelles des familles et les péripéties du voyage tout en dégustant des Tropicos, du Ricqlès et des menthes à l’eau bien frais.
Après s’être désaltérés, on rentra à la maison. Popol, prévenu de leur arrivée par téléphone portable avait déjà ouvert l’électricité et toutes les fenêtres afin d’aérer. Il ne leur restait plus qu’à vider les valises et se rafraîchir un peu avant d’aller dîner chez Popol et Magali qui avaient préparé un barbecue et une belle salade de tomates pour fêter leur arrivée.
Guirec, Yuna et leur ami d'enfance Kevin prennent des vacances avec leurs grands-parents, à Malemort du Comtat à quelques kilomètres de Carpentras. Des choses étranges se produisent. Les appareils électriques se détraquent. Yuna reçoit des messages d'une étrange créature. Que se passe-t-il au juste dans ce coin tranquille?
Rapidement les trois adolescents vont être entraîné dans un périple qui les mènera sur les chemins de la transhumance, jusqu'au fabuleux Dieu Taureau afin de sauver l'humanité menacée.
Il faisait déjà très chaud. Ce début de mois de mai à Carpentras avait un petit air d’été. Heureusement que je suis partie tôt ce matin, quelle chaleur ! songea Toinette en garant sa vieille Peugeot 304 break au coin de la rue. Comme d’habitude une voiture était parquée devant la porte cochère et l’empêchait d’entrer dans la cour. Et comme d’habitude elle pourrait décharger ses caisses dans la rue et faire à chaque fois le voyage jusqu’à l’entrepôt. Chaque chose en son temps, songea la jeune femme. Après un coup d’œil à sa montre, elle constata qu’il était encore une heure tout à fait décente pour prendre un petit déjeuner et se rendit à la boulangerie d’en face pour acheter des croissants. Augustin serait ravi. Il n’aimait pas que sa maman parte sans lui, mais dans un cas comme celui-ci elle ne pouvait faire autrement. Toinette avait du rabattre la banquette arrière et tout le coffre était rempli de caisses de livres. Pas moyen donc, d’installer le siège-auto et de prendre son fils avec elle, comme elle le faisait parfois.
Cela faisait maintenant près de trois ans que Toinette était venue s’installer à Carpentras pour soigner son grand-père, un vieux misanthrope qui n’aimait qu’elle. Il ne voulait plus voir ni son frère, ni son fils, le père de Toinette, ni même Romaric son petit-fils, qui était pourtant son filleul. Et qui ne lui avait rien fait… Pourquoi cette haine pour les siens et cet amour exclusif pour Toinette depuis sa plus tendre enfance ? La jeune femme l’ignorait. Il y avait trop de secrets dans cette famille. Autant du côté paternel que maternel.
Un an après son installation, le cancer avait fini par emporter son grand-père et la jeune femme apprit que ce dernier lui avait légué tous ses biens, entre autre cette maison dont elle avait transformé l’entrepôt en bouquinerie. Toinette adorait les livres et n’aurait pas imaginé un autre travail. D’ailleurs un autre emploi lui aurait-il procuré tant de satisfaction ? Les livres étaient toute sa vie. Elle n’avait pas fait d’études et le regrettait quelquefois, mais les livres lui avaient donné une solide culture générale. Heureusement, car depuis le décès de son grand-père, elle était en butte aux persécutions des membres de sa famille, insatisfaits du testament du « vieux » qui léguait toute sa fortune à « la gamine ». Ils avaient alors attaqué le testament en alléguant que « le vieux » n’avait plus toute sa tête. Ils avaient réussi à faire bloquer les fonds en attendant les résultats de la bataille juridique qui faisait rage, mais pas encore à déloger la jeune femme de sa maison. Alors on l’attaquait elle, « la gamine ». On cherchait ses points faibles. On tentait de l’impressionner. On la menaçait. On lui proposait de racheter sa maison pour un prix dérisoire. On la sous-estimait surtout, car en un peu plus de deux années, elle n’avait jamais cédé. D’ailleurs seul son père aurait pu prétendre un droit à l’héritage car il était, avec ses enfants Toinette et Romaric, le seul héritier du vieil homme. Les autres n’étaient que les enfants issus du premier mariage de sa femme décédée depuis une dizaine d’années. Ils n’avaient rien à voir avec lui. Et pourtant c’étaient ces derniers et non son père qui tentaient d’attaquer le testament. Ce qu’Antoinette ne comprenait pas d’ailleurs. Son père la détestait. Pire, la haïssait. Et pourtant il n’esquissait pas le moindre geste pour tenter de récupérer ce qu’il pourrait considérer comme étant son du. Il le laissait à « la gamine ».
Pas plus que Toinette ne comprenait pour quelle raison le célèbre homme d’affaires Vernarecci persistait à vouloir lui racheter sa maison pour en faire un hôtel. Pourquoi précisément sa maison à elle ? L’homme était riche. Plus que riche même. Il aurait pu aisément racheter n’importe quelle demeure de prestige en bien meilleur état, voir même acheter un terrain de plusieurs hectares pour y construire son hôtel de luxe. Mais non. Il avait décidé d’acheter précisément cette maison-là, depuis bien avant la mort de son grand-père. Seulement avec le vieil homme il était tombé sur un os. Et maintenant que sa petite-fille devenait son héritière, il pensait pouvoir la faire céder. Il proposait une somme nettement plus élevée que les membres de sa famille. Il s’était manifestement renseigné sur elle. Sans doute avait-il eu des contacts avec sa « famille ». Car lui aussi tentait de se servir des points faibles ou de ce qu’il imaginait tels, de « la gamine ».
« La gamine » c’était elle. Baptisée Antoinette en la mémoire de la fille aînée de sa grand-mère, morte de la coqueluche à vingt-trois mois. Toinette pour les intimes était la ratée, le mouton noir de la famille. Celle qui avait abandonné ses études parce qu’elle attendait un enfant dont on ne savait même pas qui était le père. Celle qui n’arriverait jamais à rien. La rebelle qui refusait de marcher dans le chemin que l’on avait tracé pour elle et qui en prime, malgré qu’elle ait tout raté, se faisait entretenir par son grand-père et finissait par être son unique héritière. Celle dont il ne fallait pas prononcer le nom sous peine de déclencher des transes chez son père, une crise de nerfs chez sa mère et un regard méprisant de la part du reste de la famille, à l’exception de sa grand-mère maternelle.
Aujourd’hui pourtant, la jeune femme était presque heureuse. Bien sûr, la mort de son grand-père qu’elle adorait la laissait à moitié orpheline. Ils avaient tant de souvenirs communs. Elle l’avait toujours considéré comme son père, le véritable n’étant pas fort paternel. Mais d’un autre côté, elle avait fini par convaincre sa grand-mère maternelle de venir habiter chez elle, dans un charmant petit studio qu’elle lui avait aménagé au rez-de chaussée. Le climat sec du Midi de la France convenant mieux à ses rhumatismes que l’humidité de la capitale. Bien sûr, elle était loin d’être riche et la bouquinerie ne commençait qu’à peine à lui rapporter de quoi vivre. Bien sûr, elle savait ce que pensait d’elle « la famille », mais quelle importance ? Ne savait-elle pas elle ce qu’elle valait réellement ? Ne savait-elle pas que l’année qu’elle avait passé à soigner son grand-père en assumant en même temps un enfant en bas âge n’était pas précisément une sinécure ? Cela constituait même un travail à temps plein, car en plus, Toinette se chargeait de l’entretien de la maison. Un travail à plein temps pour lequel elle n’était pas payée, refusant en effet de se faire rémunérer pour aider un des deux seuls membres de sa famille ayant de l’affection pour elle et ayant accepté son fils sans curiosité malsaine. Pour le vieil homme, Augustin était le fils de sa petite-fille chérie, il était donc son arrière petit-fils et les choses étaient bien comme cela. Le reste n’avait pas d’importance. Si Toinette n’avait pas envie de parler du père de l’enfant, c’est qu’elle avait ses raisons.
C’était en nettoyant l’entrepôt que l’idée de la bouquinerie lui était venue. Elle hésitait à reprendre des études lorsque son fils Augustin serait en âge d’aller à la maternelle, mais la mort de son grand-père avait décidé pour elle. Elle devait gagner sa vie et celle de son fils. De son vivant elle avait discuté de la bouquinerie avec son grand-père qui trouvait cela une bonne idée. Il connaissait sa petite-fille et sa passion pour les livres. L’entrepôt était énorme et pouvait contenir des milliers de livres d’occasion. Elle ignorait que son grand-père allait l’instituer comme légataire universelle. Elle pensait, elle espérait qu’il vivrait plus longtemps. Naïvement même, la jeune femme avait imaginé qu’il guérirait du cancer. Mais la maladie était trop avancée. Son grand-père fumait depuis l’âge de 9 ans et en était arrivé à 5 paquets par jour. Elle se contentait de ranger, nettoyer et rafraîchir la maison pendant ses rares moments de libres, avec l’assentiment de son grand-père.
C’était toute seule qu’elle avait commencé par réaménager la chambre où son grand-père passait le plus clair de son temps, ensuite la terrasse, qu’elle avait nettoyée, décorée et fleurie pour qu’il puisse y manger où y lire lorsqu’il en avait la force et que le temps le permettait. Puis elle s’était attelée à la chambre de son fils et terminait la sienne lorsque son grand-père mourut. Immédiatement « la famille » fit bloquer les comptes et Toinette se serait retrouvée sans ressources si son grand-père n’avait pas gardé une petite réserve cachée dans un coffre qui n’en n’avait pas l’air. Il avait prévenu Toinette : « Je sais que je ne vais plus faire long feu sur cette terre et je sais aussi que les chacals n’attendent que ça pour tenter de s’accaparer mon argent. Si jamais il devait t’arriver quoi que ce soit, n’hésite pas à te servir de cet argent. » Toinette avait refusé. « Ce n’est pas à moi, ton héritier c’est ton fils… » Mais son grand-père avait coupé court à toute discussion « Ce que je donne de mon vivant, personne n’a le droit de le contester ! » Il avait joué le jeu jusqu’au bout, laissant croire à Toinette qu’effectivement, son père serait son unique héritier et qu’elle risquait de se retrouver dans les difficultés financières. Ce n’était qu’après sa mort que le notaire lui avait appris la vérité en lui remettant une lettre de son grand-père contenant certaines explications.
« Ma chère petite-fille,
Je n’ai aimé que toi au monde, ensuite ton fils quand il est arrivé parce qu’il était le fils de ma petite-fille que j’aimais au-delà de ce que je n’ai jamais cru pouvoir aimer. J’ai gardé le secret de ce testament jusqu’au bout pour que personne ne puisse te reprocher d’être mon unique héritière. Oui ma chère Toinette, je te lègue tout ce que je possède, mes biens, mon argent et la maison de Carpentras. Tu auras sans doute à faire face aux chacals qui essayeront de te dépouiller, mais je compte sur toi pour ne pas permettre que ce que j’ai bâti à la force de mes mains tombe dans des mains indignes. Des mains qui ne le méritent pas. Les enfants de ta grand-mère ne sont que des étrangers pour moi et ne m’ont jamais traité que comme un étranger. Il n’y a pas la moindre raison à ce qu’ils héritent de moi. Pour ce qui est de ton père, tu comprendras un jour. Je voudrais te donner plus d’explications, mais il est trop tard et je n’en n’ai plus la force. J’aurais du le faire quand je n’étais pas encore aussi malade. Même si tu ne comprends pas, je te supplie de respecter mes dernières volontés et de te battre de toutes tes forces pour ne jamais laisser la maison et mes biens tomber en de mauvaises mains.
En ce qui concerne ton frère, je sais que tu feras ce que tu as à faire. Je ne pouvais pas le faire hériter officiellement, il est mineur, ton père aurait fait main basse sur ses biens.
Ton grand-père qui t’aime
PS : Je serais toi, j’aménagerais l’aile droite du rez de chaussée pour en faire un studio pour ta grand-mère de Paris. Elle pourrait vivre avec toi et le petit. C’est une femme que j’appréciais beaucoup. »
Effectivement, l’ouverture du testament avait fait l’effet d’un coup de tonnerre, les comptes de son grand-père avaient étés bloqués et les revenus qu’il tirait de ses divers placements l’étaient également. Avec l’argent du coffre, Toinette avait aménagé un studio pour sa grand-mère et terminé l’installation de sa bouquinerie. Le reste, elle gardait précieusement car elle ne savait pas quand son commerce commencerait à marcher ni quand les comptes seraient débloqués.
Toinette n’avait pas de goûts de luxe. Elle aimait la fraîcheur et la simplicité. Même si l’argent de son grand-père venait à se débloquer, elle savait qu’elle ne changerait pas grand-chose à son mode de vie actuel et garderait la bouquinerie, ainsi que sa vieille Peugeot hors d’âge.
La porte d’entrée s’ouvrit sur le visage souriant de sa grand-mère tenant par la main le petit Augustin, tandis que Croquette son petit fox terrier s’élançait vers elle et sautait à près d’un mètre de hauteur pour lui souhaiter la bienvenue… tout en espérant recevoir un morceau de croissant feuilleté dont il sentait l’odeur à travers le sac. Toinette câlina son chien et prit son fils dans les bras. Comme il était beau son bébé, toujours souriant. Elle l’aimait de tout son cœur et il représentait toute sa vie. La jeune femme embrassa sa grand-mère, et, tenant son fils par la main, ils se dirigèrent vers la terrasse pour prendre un petit déjeuner bien mérité.
A l’hôpital.
Déçus de ne pas avoir fait la connaissance de leur cousine, mais heureux à l’idée de revoir enfin leur mère pour laquelle ils s’inquiétaient, les trois Garin et leur père prirent place dans le break Peugeot de leur oncle. Une Peugeot 504 blanche, rehaussée spécialement pour rouler dans les chemins de campagne. Florius lui, s'installa dans le coffre.
-J’ai l’habitude. Sourit le jeune garçon. Ne vous en faites pas ! Il n’y a rien de plus amusant que de faire un trajet dans le coffre.
Pendant le trajet, Louis demanda à son cousin s’il pensait que sa sœur Cléo n’appréciait pas leur venue. Mais Florius les rassura en souriant.
-Non, pas du tout ! Cléo est simplement une solitaire. Elle adore se balader à cheval, à pieds, à vélo. Elle s’arrête n’importe où pour lire ou pour écrire quand elle en a l’inspiration.
-Ah parce qu’elle écrit aussi ? Comme tante Tonie ? Interrogea Louis.
-Et oui. C’est dans les gènes ces choses là ! Enfin dans les siens, parce que moi j’aime bien lire, mais je ne suis pas très porté sur l’écriture.
-Pourtant vous êtes jumeaux. Objecta Marie.
-Oui, on est jumeaux. Et on est totalement complémentaires, mais pas vraiment semblables au sens où on l’entend avec des vrais jumeaux. Chacun a ce que l’autre n’a pas. Je suis gaucher, Cléo est droitière. Elle est une littéraire, moi je fais de la musique. Elle a des cheveux châtains foncés, moi j’ai les cheveux blonds roux… Mais attention, on se ressemble hein ! Comme elle a les cheveux courts, on la prend parfois pour un garçon et on lui demande souvent si nous sommes jumeaux. Dans les endroits où on ne nous connaît pas bien sûr. Parce qu’au village et aux alentours tout le monde nous connaît. Et en fait, elle ne sait pas si ça lui fait plaisir ou non !! Elle est bizarre parfois Cléo. Ah on arrive.
Oncle Victor gara la voiture sur le parking de l’hôpital, un énorme bâtiment en pierres datant du siècle dernier aux jardins abondamment fleuris et rafraichis par des fontaines.
-Voilà, dit l’oncle Victor. Je m’en vais à mes petites affaires avec Flo et je reviens vous chercher dans deux heures.
Pendant que leur oncle s’éloignait avec Florius qui avait quitté son coffre pour s’installer à côté de son père, les trois enfants Garin et leur père entrèrent dans l’hôpital. A l’accueil, M. Garin demanda à la préposée dans quelle chambre se trouvait son épouse. Mme Garin se trouvait au troisième étage, au service des soins intensifs. Normalement les enfants n'avaient pas la permission d'entrer à trois dans la chambre de leur mère, mais l’infirmière en chef accepta de leur faire une faveur parce que Mme Garin était seule dans sa chambre et parce que la petite famille venait de faire un long voyage.
-Mais ne restez pas trop longtemps. Le dîner va être servi et puis votre maman est très fatiguée par son opération.
A la vue de ses enfants, les yeux de Mme Garin brillèrent de joie dans son visage pâle et émacié.
-Mes enfants ! Quel bonheur de vous revoir ! Comme je suis heureuse de vous retrouver enfin.
Fauve se jeta dans les bras de sa mère en pleurant.
-Oh maman ! On a eu tellement peur… La phrase de la petite fille se termina en sanglot.
Louis et Marie embrassèrent à leur tour leur mère, tous deux très émus.
-Maman, si tu savais ce que nous avons eu peur quand papa nous a annoncé ton accident ! Dit Louis.
-Oh oui, quel choc ! Je ne veux plus jamais que tu partes sans nous ! Renchérit Marie, prête à pleurer elle aussi.
Pendant que M. Garin embrassait à son tour sa femme, une aide soignante arriva avec le plateau repas. Mme Garin la remercia gentiment.
-Mais je ne suis vraiment pas certaine de pouvoir manger tout cela. Depuis mon réveil je n’ai vraiment pas faim. Je suis désolée.
-Essayez de manger quand même un peu. Il vous faut reprendre des forces pour guérir et pour être en forme pour la rééducation. Conseilla la brave dame.
-Oui, Madame a raison. Renchérit son mari. Il faut que tu manges et que tu te reposes beaucoup pour que tu puisses quitter l’hôpital au plus vite.
Mme Garin essaya de manger un peu pour contenter l’aide soignante et sa famille. Pendant ce temps, M. Garin expliqua à son épouse que l’oncle Victor, le mari de sa sœur avait proposé de leur prêter la bastide afin qu’elle puisse y passer sa convalescence près de sa famille.
-On engagera une infirmière à domicile et un kiné viendra pour ta rééducation. Ainsi tu ne devras pas aller dans un centre de convalescence et tu seras au milieu de ta famille. Ta mère et ta sœur viendront te voir autant qu’elles le souhaitent. Et les enfants resteront chez ma sœur Tonie afin de ne pas te fatiguer. Mais comme ils seront à moins de 2 km, ils viendront tous les jours te rendre visite.
-Et quand tu ne seras plus fatiguée, on restera près de toi. Annonça Fauve.
-Mais bien sûr ma chérie, promit sa mère en la prenant dans ses bras. Bien sûr que vous resterez près de moi dès que ça ira mieux. Vous me manquez déjà tellement les enfants.
La petite famille discuta encore un moment, évoquant la gentillesse de la tante Tonie et de l’oncle Victor ainsi que l’accueil sympathique de leur cousin Florius. Voyant que sa femme était fatiguée, M. Garin proposa aux enfants de la laisser se reposer.
-Nous reviendrons demain, promit-il, mais je pense qu’il vaut mieux que nos visites ne s’éternisent pas. Votre maman est très fatiguée et très éprouvée.
Après de nouvelles embrassades, Louis, Marie et Fauve, suivis par leur père quittèrent l’hôpital. Et l’oncle Victor était déjà là, un peu à l’avance. On se réinstalla dans le break pour aller déposer M. Garin chez sa belle-sœur où il logerait le temps que sa femme puisse quitter l’hôpital.
La sœur de Mme Garin les accueillit à bras ouverts et leur proposa des rafraîchissements qu’ils ne purent refuser. Cela faisait tellement longtemps qu’ils n’avaient plus vu leur famille. Leur tante, qui vivait seule avec son chat dans une jolie petite maison du vieux quartier de Carpentras, les fit asseoir sur sa jolie terrasse fleurie et encore ensoleillée malgré l’heure tardive.
-Je vais appeler votre grand-mère ! Il faut au moins que vous puissiez lui dire bonjour. Cela fait tellement longtemps qu’elle n’a plus vu ses petits enfants. Vous lui manquez beaucoup vous savez ? Annonça leur tante.
A peine dit, et au grand étonnement des enfants, leur tante mit deux doigts dans la bouche et se mit à siffler comme un homme. L’oncle Victor et M. Garin se mirent à rire. Tante Francine ne changerait jamais.
La fenêtre d’une petite maison voisine s’ouvrit et une dame âgée parut. Apercevant son beau-fils et ses petits enfants elle se mit à crier par la fenêtre.
-Oh mes enfants ! Comme je suis contente de vous revoir enfin ! Comme vous m’avez manqué pendant toutes ces années ! Attendez-moi, j’arrive, je viens prendre l’apéro avec vous !
Quelques minutes plus tard, l’énergique vieille dame en chignon, toute de noir vêtue arrivait en trottinant chez sa fille. Elle embrassa les enfants, M. Garin et même Florius et oncle Victor qui se laissèrent faire en riant.
L’apéritif traînait en longueur. La grand-mère de Louis, Marie et Fauve était une adorable vieille dame, mais tellement bavarde… Elle complimentait les enfants sur leur taille, leur mine superbe. Elle riait de les retrouver après tant d’années d’absence à l’étranger. Elle pleurait de ne pas les avoir vu grandir.
-Mais maintenant je ne vous lâche plus ! Vous êtes ici pour toutes les vacances et j’espère bien que vous viendrez souvent me rendre visite, ainsi qu’à votre tante. Je ne vous ai pas vu grandir et j’ai hâte d’enfin pouvoir vous gâter et vous faire des gâteaux. J’en ai des choses à vous raconter… Et votre tante aussi !
De cela, les enfants n’en doutaient pas un seul instant. Mais il se faisait tard et l’oncle Victor rappella diplomatiquement que Tante Tonie les attendait, les enfants et lui, avec le repas du soir. Et elle risquait de s’inquiéter, car l’heure du dîner était largement dépassée.
Nouvelles embrassades. Promesses de se revoir bientôt. Et enfin les enfants grimpèrent dans la Peugeot de leur oncle, direction : le mas des Cigales !
-Hé bé ! On peut dire que votre grand-mère est bavarde ! Souffla l’oncle Victor en riant.
-Ca oui alors ! Rétorqua Florius. Elle est encore plus bavarde que ta mère, celle de maman et la grand-mère de maman… Enfin… peut-être pas que le grand-mère de maman ! Corrigea le jeune garçon avec un clin d'oeil. Parce qu’elle est vraiment très bavarde. Mais elles sont toutes les quatre super gentilles, c’est sûr !
-Oui, reconnut Louis, on va rattraper le temps perdu et lui rendre de fréquentes visites tant qu’on est dans la région.
Le reste du trajet jusqu’au mas des Cigales s’effectua en silence. Les trois enfants Garin étaient fatigués par leur journée éprouvante.
Un accueil chaleureux
Il faisait de plus en plus chaud et le paysage devenait de plus en plus sec. Les vignes et la garrigue avaient définitivement remplacé les champs et les prés. A midi M. Garin s’arrêta dans un petit village où il acheta des rafraîchissements et des sandwiches à une épicière sympathique qui leur demanda avec un accent chaleureux s’ils étaient en vacances dans la région. M. Garin expliqua qu’ils avaient encore un peu de route à faire car ils allaient à Malemort dans la région de Carpentras.
-Ah mais c’est une belle région ! Sourit l’épicière. La maman de mon mari était originaire de Mazan, tout près de Malemort. Vous allez vous y plaire. C’est un coin tranquille, à l’abri des touristes.
-Nous sommes aussi originaires de la région, expliqua M. Garin, mais les obligations professionnelles nous en ont éloignés.
-Et nous sommes heureux d’y retourner ! Lança Fauve
-Et tu as bien raison petite ! Rétorqua la souriante marchande. Tenez les enfants, prenez donc une glace pour vous rafraîchir. C’est moi qui vous l’offre !
Les enfants remercièrent chaleureusement la sympathique épicière pendant que M. Garin payait ses achats.
La petite famille s’installa sur un banc à l’ombre de platanes après avoir ouvert toutes les vitres et les portières de la voiture. Pendant que les enfants dégustaient leur glace – avant de manger leur sandwich afin qu’elle ne fonde pas – M. Garin remit de l’eau dans le radiateur de la Peugeot.
Pendant que M. Garin se reposait à l’ombre d’un platane avant de reprendre la route, les trois enfants allèrent se rafraichir à la fontaine sur la place du Cours. Cela faisait un bien fou après cette longue route. Les trois enfants s’aspergèrent en riant et en poussant des cris aigus, sans se rendre compte que leur père les observait depuis un moment en souriant.
Après s’être laissés sécher au soleil, les enfants remontèrent dans la voiture et M. Garin démarra pour la dernière partie du trajet.
Il était près de 17 heures lorsqu’on arriva à Malemort. Après avoir traversé le petit village brûlé par le soleil, M. Garin quitta la départementale pour les petits chemins de campagne, dont certains n'étaient même pas goudronnés. Les enfants se demandaient comment leur père parvenait à retrouver sa route alors qu’il n’y avait pas la moindre indication. Rien que des vignes et de la garrigue. Il y avait très peu d’habitations également. Enfin M. Garin s’arrêta au bord d’un chemin sinueux.
-Nous y sommes. Annonça-t-il aux enfants. Voici le chemin qui mène au mas des Cigales. Encore un petit kilomètre et vous verrez la maison.
Le chemin caillouteux serpentait au milieu de la végétation.
-On ne croirait jamais que ce chemin mène à une habitation ! Lança Louis.
M. Garin sourit.
-Votre tante aime la nature et voulait absolument habiter dans le coin le plus isolé de la propriété. C’est pour cela que ma sœur et mon beau-frère ont fait remettre en état le mas des Cigales qui n’était qu’une ruine à l’époque. Auparavant, ils habitaient la bastide des Lavandes à quelques kilomètres. C’est là où se trouve l’exploitation viticole de votre oncle Victor, mais en même temps c’était trop « civilisé » et trop près du village et de la route au goût de votre tante. Donc une fois que le mas a été restauré, ils ont abandonné la bastide qui ne sert plus que de bureau à votre oncle.
-C’est la fameuse bastide dont tu nous as parlé et où maman pourrait venir passer sa convalescence ?
-Oui c’est celle-là même. En apprenant l’accident de votre mère, votre oncle Victor a spontanément proposé de nous prêter la bastide afin qu’elle puisse y passer sa convalescence.
-C’est drôlement gentil de sa part ! Emit Marie.
-Mais je vous ai dit que votre oncle Victor était un homme très gentil. Regardez, on voit le mas au détour du prochain tournant. Nous sommes enfin arrivés !
Les enfants regardèrent de tous leurs yeux. M. Garin stoppa la voiture au bord d’un parterre de fleurs. La malheureuse Peugeot était toute griffée par les ronces, mais cela en valait la peine. Le mas des Cigales était magnifique. Une vieille bâtisse en pierres couleur abricot surmontée d’un toit de tuiles romaines. Des volets peints en bleu lavande. Une grande cour ombragée par un vieux platane. Au milieu de la cour, une grande table en bois et des chaises disposées tout autour. A l’arrière de la cour, un petit escalier rustique menait à un verger. Et des fleurs partout ! Dans la cour, au bord du chemin, sur le toit du garage construit en contrebas du reste de la maison, à toutes les fenêtres… Jamais les enfants n’avaient vu une maison aussi fleurie que le mas des Cigales. C’était une véritable merveille.
Maintenant que le moteur de la voiture s'était tu, on n’entendait plus que le craquettement des cigales, le chant des oiseaux et semblait-il à Marie, le renâclement d’un cheval… A part cela, la maison avait l’air déserte. Mais tout à coup des aboiements retentirent à l’intérieur. La porte d’entrée s’ouvrit et deux chiens jaillirent, l’un roux, l’autre blanc, se mettant à faire la fête à M. Garin et aux enfants un peu intimidés.
Une jeune femme brune et souriante suivait les deux chiens. Elle en portait d’ailleurs un troisième dans les bras. Un chiot celui-là.
-Ah vous voilà enfin ! Alfonso ! Lisa ! Silence tous les deux ! On ne s’entend plus ici ! Bonjour Maxime. Bonjour les enfants. Bonjour Louis, comme tu as grandi ! Tu es presqu’un homme maintenant. J’ai l’impression que tu es plus grand que moi. Je me sens frustrée ! Bonjour Marie, tu es devenue une jolie jeune fille à ce que je vois. Et bonjour ma petite Fauve. Toi tu as vraiment beaucoup changé parce que tu étais encore un bébé la dernière fois que je t’ai vue ! Je suis vraiment très heureuse de votre arrivée. Vous avez fait bon voyage ? Venez vite vous rafraîchir ! Silence vous deux j’ai dit !
Fauve toute attendrie, caressait le bébé chien que sa tante tenait dans ses bras.
-Comme il est beau ! Comment s’appelle-t-il ?
-Elle. Répondit sa tante. C’est une petite chienne. Elle s’appelle Chupete et elle a un peu plus de deux mois. Tiens, prends la dans tes bras. Elle est adorable. Je ne l’ai que depuis une semaine.
-Les deux autres aussi sont adorables. Dit Marie. Mais je n’ai encore jamais vu de chiens pareils. De quelle race sont-ils ?
-Lisa est une Podenca et Alfonso un Galgo. Ce sont des lévriers espagnols. Chupete est une Galga comme Alfonso. Ce sont des chiens que les chasseurs espagnols utilisent le temps d’une saison. Après ils s’en débarrassent, souvent en les tuant dans d’atroces souffrances. En les pendant à un arbre par exemple. Et s’ils ne chassent pas bien, ils se font battre à coups de baton, voir mutiler à coups de hache.
-Mais c’est vraiment horrible ! Se récria Louis.
-Oui c’est horrible. Et ce n’est pas tout. A la fin de chaque saison de chasse, des milliers de Galgos sont abandonnés en pleine nature ou aux abords de perreras. Les perreras sont des refuges espagnols. Des sortes de fourrières où tous les chiens sont entassés ensemble et quand il y en a trop, ils sont gazés pour faire de la place aux suivants. Ils meurent dans d’atroces souffrances, surtout les grands chiens, parce que la dose de gaz n’est pas suffisante pour les tuer sur le coup. Des refuges essaient de les recueillir pour leur donner une chance, mais ils sont vite surpeuplés. De plus, les refuges doivent faire attention aux chasseurs qui, au début de la saison de chasse, volent des jeunes Galgos et des jeunes Podencos ou encore des femelles afin de les faire procréer.
Les enfants étaient tellement choqués par ce qu'ils venaient d'entendre qu’ils en oublièrent leur soif. Heureusement leur oncle Victor arrivait.
-Et elle bavarde ! Et elle bavarde encore et encore ! Et elle en oublie de vous servir à boire ! Elle vous laisserait dessécher sur place ! Elle oublie tout quand il est question de ses chiens bien aimés ! Asseyez-vous, Magali apporte les rafraichissements et le goûter. Et voilà Flo qui arrive avec son vélo ! Vous allez pouvoir faire connaissance avec votre cousin. Annonça l’oncle Victor, tandis qu’un jeune garçon souriant, torse nu et bronzé, les cheveux blonds tirant sur le roux, exactement comme ceux de Fauve, volant dans le vent, fait un dérapage plus ou moins contrôlé avec son vélo BMX sur les graviers de l’allée.
-Voilà tes cigarettes papa ! Bonjour oncle Maxime. Salut les cousins… Alors… toi tu es à coup sûr Louis, toi tu dois être Marie la gentille et toi, vu la couleur de tes cheveux, tu es Fauve… Content de vous voir. En fait je vous ai aperçus au village tout à l’heure, mais je ne vous ai pas suivis tout de suite parce qu’il fallait d’abord que je retrouve Corentin. Il m’avait promis de me rendre mes BD… Seulement je ne l’ai pas trouvé ! Vous avez fait bon voyage ?
Les enfants Garin sourirent. Leur cousin Florius leur paraissait très sympathique et aussi bavard et accueillant que sa mère.
-Et notre cousine ? Demanda Louis. Elle n’est pas là ?
- Ah la la, votre cousine ! C’est un cas votre cousine ! Bien sûr qu’elle est là. Seulement elle est un peu sauvage et ne veut pas donner l’impression d’attendre votre arrivée. Elle préfère faire celle qui revient quand elle veut. Ne vous inquiétez pas les enfants, elle va bien finir par arriver ! Expliqua oncle Victor.
-Oh toi Vic tu dois toujours prendre la défense de ta petite fille chérie ! Elle aurait du être présente pour accueillir ses cousins. C’est quand même la moindre des choses. Rétorqua leur tante.
- Pffff !!! Souffle oncle Victor dans sa moustache. Qu’est ce que tu en as à faire des convenances ? C’est une enfant et ils sont en vacances. Ils auront bien le temps de faire connaissance, ils sont ici pour deux mois ! Laisse-les donc un peu vivre.
-Mais tu ne lui rends pas un bon service en agissant ainsi Vic ! Comment va-t-elle faire avec son caractère de braque lorsqu’elle devra faire face à la vie, chercher de l’emploi ?
-Mais elle a à peine 11 ans Tonie… Allez hop ! On s’installe tous à table, voici Magali avec le goûter et j’ai faim moi !
-Ah ben oui, rétorque Tonie, c’est normal que tu aies faim ! Tu n’es pas rentré déjeuner ce midi…
- Ah bon ? Ah tiens oui c’est vrai ma foi ! J’ai du oublier. Tu sais comment je suis quand je suis pris par le travail. Sourit Victor.
M Garin et les enfants s’amusaient beaucoup en entendant les joutes oratoires entre leur oncle et leur tante. M. Garin sourit.
-On se croirait revenus au bon vieux temps…
-Ah oui, lance Florius, papa et maman se chamaillent tout le temps comme ça. En fait ça veut dire qu’ils s’adorent, conclut-il avec un clin d’œil. Vous n’allez pas vous embêter ici, je vous le promets. Allez Alfonso ! Tu as à manger dans ta gamelle, mais évidemment tu préfères un morceau de quatre-quarts fabriqué par Magali à cette infâme nourriture en boîte pour chiens !
Les enfants se régalaient. Les adultes et les chiens également !
Observant les trois chiens de sa tante, Louis ne peut s’empêcher de relancer la conversation sur le martyre des Galgos et des Podencos en Espagne.
-Est-ce que ce sont des chiens que tu as sauvé des fourrières espagnoles ?
-Oui. Alfonso était en perrera en grand danger d’être gazé. Lisa était dans un refuge surpeuplé. Et Chupete, la dernière venue était dans un refuge complètement inondé, orpheline à deux mois. Et Néron, le chien de votre cousine, un Galgo lui aussi, se trouvait également en perrera. Vous le verrez tout à l’heure. Il est très beau lui aussi. Tout noir avec le bout des pattes blanches.
-Et tu as été les chercher ? Demanda Fauve.
-En fait, comme vous le savez, la maman de votre papa et donc la mienne, est espagnole. Elle a une maison de vacances là-bas où elle va plusieurs fois par an. Et c’est tout à fait par hasard que j’ai été sensibilisée au martyre des Galgos et des Podencos. La voisine de notre mère tient un refuge et essaie de sauver un maximum de ces pauvres chiens de la mort certaine ou des mauvais traitements qui les attendent. C’est ma mère qui, la première a été sensibilisée à cette cause par sa voisine qui est devenue son amie avec le temps. Elle a recueilli plusieurs chiens. Et lorsque je suis allée chez elle, je n’ai pas pu résister. Lisa est la première chienne que j’ai recueillie. Ensuite Alfonso, puis Néron pour Cléo qui en était tombée amoureuse et la semaine dernière ma maman m’a ramené Chupete. Mais entretemps maman et moi avons pris des chiens en accueil afin de désengorger le refuge et de leur trouver des adoptants en France. Je profite aussi de la notoriété que me valent les livres que j’écris pour promouvoir la cause des Galgos et des Podencos, dans l’espoir que l’Espagne finisse par promulguer une loi visant à les protéger et à empêcher ces tortures et ces assassinats.
-C’est magnifique ce que tu fais tante Tonie. Résuma Marie admirative.
-Oui je suis assez fier de ma maman ! Emit Florius. Ces pauvres chiens méritent vraiment une seconde chance. J’aimerais tellement qu’on puisse les sauver tous. Mais ce n’est malheureusement pas possible. Ces chiens sont vraiment des anges de douceur et de tendresse. Ce sont les plus chouettes chiens du monde.
-Peut-être que lorsque maman sera remise on pourra en adopter un aussi ? Fit Louis d’un ton plein d’espoir en regardant son père.
-Peut-être. Répondit son père. Mais ce n’est pas encore tout à fait le moment. Nous verrons dans quelques semaines. Puis il regarda sa montre. Bon, maintenant si ça ne te dérange pas Vic, j’aimerais bien téléphoner à Martine pour lui annoncer que je suis bien arrivé.
-Bien sûr. Répondit Victor. Et ensuite tu prendras une douche et puis tu peux te reposer un peu. A moins que tu ne préfères que je t’emmène à Carpentras avec les enfants voir Martine, comme cela tu ne devras pas conduire. Car je pense que tu en as un peu assez de la conduite.
-Tu as raison, mais je ne voudrais surtout pas te déranger, je t’impose déjà mes enfants…
- Oh la la ! Bonne mère, mais tu ne me déranges pas du tout ! Je dois aller à Carpentras pour déposer des marchandises au magasin en ville. Ca te laissera le temps de rendre visite à ta femme. Ensuite, si j’ai bien compris, tu restes dormir chez ta belle-mère ou chez ta belle-sœur, donc moi je ramènerai les enfants ici après t’avoir déposé.
En route pour Malemort
-Les enfants, j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. Commença M. Garin d’un air sombre, en s’asseyant à la table du petit déjeuner.
Louis, Marie et Fauve relevèrent la tête de leurs assiettes d’un air intrigué.
-Que se passe-t’il papa ? demanda Louis, un grand garçon athlétique de 12 ans aux cheveux châtains clairs en broussaille entourant un visage énergique au regard volontaire.
-Il est arrivé quelque chose de grave ? interrogea Marie, sa jeune sœur de 11 ans, une petite blonde aux yeux bleus, pour l’instant très inquiète.
-Ce n’est pas maman au moins ? Questionna Fauve, la plus jeune, 10 ans, cheveux blonds tirant sur le roux, toujours en bataille, en déposant son couteau sur la table, ses yeux noirs, posés, interrogateurs sur son père.
M. Garin ne savait comment répondre, mais en voyant son visage tendu les enfants comprirent d’eux-mêmes.
-C’est maman ? Mon Dieu que s’est-il passé ?
-Elle est tombée malade ?
-Elle a eu un accident ? Parle papa, je t’en prie, ne nous laisse pas languir…
Les trois enfants savaient en effet que leur mère qui passait quelques jours chez sa sœur, devait revenir à la maison ce week end, pour le début des vacances scolaires.
-Et bien, tout d’abord ne vous inquiétez pas, votre maman a été opérée cette nuit et l’opération a parfaitement réussi. Elle va aussi bien que possible étant donné les circonstances et n’en gardera aucune séquelle, explique M. Garin. Elle a effectivement eu un accident de voiture, hier en fin de journée. Elle revenait d’avoir été faire quelques courses avec votre tante. Elles se rendaient chez leur mère, votre grand-mère, lorsqu’un chauffard qui a brûlé un feu rouge les a embouti de plein fouet. Votre tante est indemne, mis à part de nombreuses contusions, mais votre maman souffre de plusieurs fractures. On l’a opérée durant la nuit, le temps de me prévenir pour que je puisse donner les autorisations nécessaires et d’effectuer les examens préliminaires.
Fauve, la benjamine, se mit à pleurer en cachant son visage dans ses mains.
-Oh pauvre maman ! Pauvre maman ! Sanglota-t-elle.
Marie également ne put empêcher ses larmes de couler.
-On peut la voir ? implora t’elle à son père tout en prenant sa petite sœur dans ses bras pour la consoler.
-Non. Répondit ce dernier. Pas immédiatement. Pour l’instant elle est en salle de réveil, mais je n’ai pas encore su lui parler au téléphone car elle est très affaiblie et fatiguée par son opération. Elle a besoin de beaucoup de calme et de repos pour se remettre. Et dans quelques semaines, si tout se passe bien, elle pourra quitter l’hôpital pour effectuer sa convalescence et ses séances de rééducation.
-Mais nous pourrons la voir quand même ? Elle pourra recevoir des visites lorsqu’elle sera moins fatiguée ? S’inquiéta Louis.
-Bien sûr mon garçon, ne t’en fait pas tout est déjà prévu. Car j’ai encore quelque chose à vous expliquer. Etant donné que l’accident a eu lieu dans la région de Carpentras où réside votre tante, c’est à l’hôpital de cette ville que votre mère se trouve. Donc, comme nous habitons Paris, ce qui n’est pas commode pour les visites, et que nous sommes en période de vacances scolaires, j’ai contacté ma sœur qui habite également dans la région de Carpentras. Elle accepte de vous héberger tous les trois pendant toute la durée des vacances d’été. Ainsi vous pourrez aller visiter votre mère chaque fois que ce sera possible.
-Ah ça me semble une bonne idée papa. Mais toi, où iras-tu ? Logeras-tu aussi chez ta sœur afin de pouvoir rendre visite à maman ?
-Non Marie. Dans un premier temps je logerai chez votre grand-mère qui habite Carpentras. Je serai ainsi plus proche de l’hôpital pour me rendre au chevet de votre mère et effectuer les démarches nécessaires à son hospitalisation et à sa convalescence. Mais je viendrai souvent vous rendre visite. Il se pourrait même que votre mère vienne effectuer sa convalescence dans la bastide que possèdent ma sœur et son mari. C’est une grande maison qui comporte une grande chambre au rez de chaussée et toutes les commodités de plain-pied. Nous pourrons engager une infirmière à demeure le temps nécessaire à la guérison de votre mère. Qu’en pensez-vous les enfants ?
-Si l’accident de maman n’était pas aussi triste nous serions heureux de passer des vacances chez ta sœur en Provence, répond tristement la petite Fauve.
-Oui, c’est tout à fait ça, renchérirent Louis et Marie.
-Au fait, reprit Marie, ta sœur c’est bien elle qui est écrivain et dont le mari possède une entreprise viticole ?
-Oui c’est bien elle, répond son père. A cause de mon métier et de nos fréquents séjours à l’étranger, nous avions un peu perdu contact. Nous nous écrivions très régulièrement bien sûr, mais ce n’était pas la même chose. Depuis que nous sommes revenus définitivement en France l’année dernière, je l’ai rencontrée à plusieurs reprises. Nous étions tellement heureux de nous revoir. Chaque fois qu’elle vient à Paris signer un contrat avec son éditeur, nous dinons ensemble au restaurant et nous évoquons le bon vieux temps de notre enfance. La dernière fois votre mère était avec et nous avons passé une merveilleuse soirée.
-A-t-elle des enfants ? interrogea Louis.
-Oui, elle a deux enfants. Des jumeaux. Des faux-jumeaux plus exactement : un garçon et une fille, ils ont 11 ans et s’appellent Florius et Cléopâtre. Ma sœur a toujours été un peu originale, sourit M. Garin en voyant l’air étonné de ses enfants à l’annonce des prénoms plutôt anachroniques de leurs cousins.
-Et son mari ? Questionna Louis.
- Son mari, votre oncle Victor Sabatier est viticulteur. Il possède une grande propriété et des hectares de vignes à perte de vue. Il est très sympathique. Il aime beaucoup les enfants mais travaille énormément. Vous risquez de ne pas le rencontrer souvent, si ce n’est aux heures de repas. C’est un homme très courageux qui ne se contente pas d’être le patron, mais qui met la main à la pâte chaque fois que c’est nécessaire. Et dans une exploitation de cette taille, c’est souvent nécessaire !
-Tu l’as déjà vu ? interrogea Fauve.
-Oui bien sûr. Et vous aussi, mais vous étiez tellement petits que vous ne vous en rappelez sans doute pas. Avant de partir à l’étranger peu après ta naissance ma petite Fauve, nous habitions Carpentras et faisions de nombreux repas de famille au mas des Cigales. Vous jouiez avec vos petits cousins, mais tout cela est tellement loin. Louis avait à peine plus de 3 ans lorsque j’ai été nommé en poste pour la première fois à l’étranger.
M. Garin était chercheur. Il effectuait de nombreux séjours dans des universités et des hôpitaux étrangers. Cette année il était revenu au pays car on lui avait offert un poste intéressant dans un grand hôpital parisien. La petite famille habitait maintenant dans un grand appartement à Paris.
-Et ta sœur ? Continua Louis. Elle est écrivain, cela veut-il dire qu’elle a besoin de beaucoup de calme et que nous ne risquons pas de la voir souvent elle non plus ?
-Ma sœur Antoinette, que je vous recommande d’appeler Tonie car elle trouve le prénom Antoinette un peu démodé…
-Pas plus démodé que Cléopâtre et Florius tout de même ! S’esclaffa Fauve.
- Oui mais comme je l’ai dit, ma sœur est quelque peu originale. Continua M. Garin. Le prénom Antoinette lui vient de notre grand-mère qu’elle aimait beaucoup, mais elle le trouve un peu vieux et trop long. Bref, ma sœur écrit beaucoup, mais la maison est très grande. Elle a un bureau et lorsqu’il ne fait pas trop chaud elle écrit sur la terrasse. Mais elle n’a pas l’inspiration tous les jours. Il lui arrive d’écrire sans discontinuer tout comme il lui arrive de ne pas écrire une ligne pendant plusieurs jours. Mais ne vous tracassez pas, ma sœur aime aussi beaucoup les enfants et elle a beaucoup de patience.
-Et nos cousins, tu les connais ? Penses-tu qu’ils seront heureux de nous voir venir ? S’inquiéta Marie.
-Je ne les ai pas revus. Leur mère m’a parlé d’eux bien sûr. Mais je pense qu’ils seront heureux de vous voir venir et d’avoir des camarades de jeu pour l’été. Florius est un garçon espiègle, il a la bougeotte et adore les promenades à vélo. Cléo, elle, est plutôt secrète. Elle aime beaucoup écrire, comme sa maman. Elle aime beaucoup être seule et se balader à pieds, à vélo, mais aussi à cheval…
-Elle a un cheval ? S’exclama Fauve.
- Oui. Je pense même qu’il y en a plusieurs au mas des Cigales. Mais assez discuté les enfants ! Il est temps de ranger l’appartement et de préparer vos valises car nous partons dans moins d’une demi-heure. Le temps de préparer mes cartes et d’aller faire le plein de la voiture.
Les trois enfants s’affairèrent à ranger la cuisine. Louis, le plus grand des trois, grimpa au grenier pour récupérer trois grandes valises dans lesquelles chacun entassa ses affaires. Puis, les trois enfants descendirent les bagages dans le coffre du break Peugeot 304, tandis que M. Garin ferma l’appartement après un dernier tour d’horizon.
Louis s’assit à côté de son père, les cartes sur les genoux, prêt à le seconder lorsqu’il aurait besoin de lui. Les deux filles s’installèrent à l’arrière. Marie avait préparé une pile de livres à lire pendant le voyage qui risquait d’être long. Papa les avait en effet prévenus qu’il faudrait peut-être s’arrêter à l’hôtel à la moitié du trajet.
La voiture démarra. Les trois enfants Garin étaient à la fois triste pour leur maman et heureux de faire bientôt la connaissance de leur oncle, tante et cousins. Ils étaient également très impatients de découvrir la Provence et le mas des Cigales dont leur père disait tant de merveilles.
Il faisait très chaud en ce début de mois de juillet. Malgré toutes les fenêtres ouvertes il faisait mourant dans la voiture. Il fallait souvent s’arrêter pour se désaltérer et pour que M. Garin ne s’endorme pas à cause de la chaleur et de la longueur du trajet.
Peu avant Lyon, M. Garin décida de s’arrêter à l’hôtel. La radio annonçait de nombreux embouteillages dans le tunnel de Lyon et sur le périphérique suite aux départs en vacances. Tout le monde était épuisé par le trajet. Les enfants avaient envie que leur père téléphone à l’hôpital pour demander des nouvelles de leur mère. Et puis, tout le monde avait faim, soif et chaud. En fin d’après-midi, M. Garin arrêta la voiture sur le parking d’un bel hôtel en bord de route. Heureusement il y restait encore des chambres libres malgré les nombreux touristes ayant eu la même idée.
Pendant que les enfants s’installèrent pour la nuit, M. Garin téléphona à l’hôpital de Carpentras pour prendre des nouvelles de son épouse. Cette fois elle était éveillée et put lui parler. Tout allait aussi bien que possible. Elle était impatiente de revoir ses enfants et son mari et les embrassait tous en leur souhaitant bonne route pour la dernière partie du voyage.
M. Garin transmit les souhaits de son épouse. Les enfants furent heureux d’apprendre que leur mère se portait mieux.
Après une bonne douche et un dîner léger au restaurant de l’hôtel, les enfants allèrent se coucher. Leurs yeux se fermaient d’eux-mêmes à cause du voyage et de la chaleur.
Le lendemain, après un copieux petit déjeuner, la petite famille reprit la route pour la dernière partie du trajet.
L’été tire sur sa fin. Je crois qu’on est en septembre. Je crois que je vais avoir 20 ans cette année.
Je me retrouve dans une ville. Je ne sais pas laquelle. J’ai beau faire des efforts, je ne parviens jamais à me rappeler où je suis. Je lis les panneaux, mais j’oublie aussitôt ce que je viens de lire. Je sens qu’on va vers l’automne parce que les jours raccourcissent.
Je parviens à travailler quelques semaines dans une taverne. Je fais la plonge à l’arrière, où personne ne me voit. Je ne sais pas pourquoi le patron a accepté de m’engager malgré ma laideur. Il me permet aussi de dormir dans sa grange. Dans le foin. J’adore dormir dans le foin. C’est confortable, chaud et ça sent bon.
J’aurais peut être pu rester ici longtemps parce que le patron est gentil, mais il a fallu que je fasse une bêtise. Au cours d’une discussion, parce qu’on discutait souvent le soir, tard, assis sur un banc de pierre dans le jardin, en fumant, je lui ai expliqué que parfois il me prenait des envies de tuer. J’ai cru pouvoir lui faire confiance. J’ai cru qu’il allait me comprendre, m’aider à m’en sortir, car il était paternel. J’avais besoin de me confier à lui. Je lui ai parlé du monstre qui prenait possession de moi. Je lui ai expliqué que parfois quand je rencontrais certaines personnes, je ne pouvais m’empêcher de leur faire du mal, de les tuer, les manger, les violer… Il n’a pas compris. Il m’a regardé d’un air d’horreur. Il m’a demandé si je plaisantais, en rajoutant que ce n’était pas drôle du tout ce que j’étais en train de lui raconter. Il a du remarquer à mon visage que je ne plaisantais pas.
Il m’a chassé. Il m’a dit de partir et de ne plus jamais revenir chez lui ni en ville.
Je n’arrivais pas à le croire. Je croyais que je pouvais lui faire confiance.
Alors je suis retourné à la grange pour prendre mes affaires, mon vélo et le monstre a renversé la lampe à pétrole qui servait à m’éclairer le soir. Le foin a pris feu et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, la grange brûlait, la maison et la taverne aussi.
On entendait les hurlements de la femme et des enfants du patron, pris au piège des flammes dans leurs chambres sous les toits, mais je fermais mes oreilles en pédalant comme un fou sur la côte qui sortait de la ville…
Il commence à faire clair. Le jour ne va plus tarder à se lever. J’aperçois un village au loin. Je crois que je ne peux pas faire autrement qu’y passer puisque la route continue tout droit. J’ai un coup de pompe. Je m’installe sous un arbre pour faire une petite sieste, après avoir mâchouillé quelques petits morceaux de chair et bu l’eau du ruisseau qui longe la route.
Lorsque je me réveille, le soleil est déjà haut dans le ciel. Mais ce qui m’a réveillé n’est pas le soleil. C’est un bruit de pas. Un craquement de branche aussi. J’ouvre les yeux et je me retrouve face à une jeune fille. Elle ne doit pas avoir plus de 13 ou 14 ans. Elle a un vélo à la main et me regarde d’un air étonné. Moi aussi je suis étonné. Je ne m’attendais pas du tout à une telle apparition. La petite fille me parle, mais je n’entends pas ce qu’elle me dit. Je vois ses lèvres bouger. Je vois ses yeux étonnés, mais je n’entends rien qu’un bourdonnement indistinct.
Le monstre, je sens qu’il arrive. Je sens qu’il prend possession de mon corps. Je ne parviens plus à me maîtriser. Il faut que je lui obéisse. Il faut que je tue cette petite fille, que je la viole et que je la mange. Pourtant je n’en n’ai pas envie. Elle a l’air gentille. Elle sourit en me regardant, mais pas un sourire moqueur comme certains. Non, on dirait qu’elle a vraiment envie de me parler. J’essaie de faire comprendre au monstre que ce n’est pas le moment, mais il ne veut rien entendre. Il lui faut de la chair fraîche.
Je me lève. La petite fille n’a pas peur, pourtant elle devrait. Mais pourquoi est ce que mon visage défiguré et mes cicatrices ne la poussent pas à s’enfuir ?
Avant qu’elle n’ait le temps de réaliser ce qui lui arrive, je plonge sur elle. Je me mets à la frapper, à la mordre. Elle a un temps de réaction. Elle ne s’attendait pas du tout à cela. Au début elle ne crie pas. Mais après, ses hurlements déchirent mes tympans. Surtout lorsque je me mets à lui arracher des lambeaux de peau avec les dents. Elle a l’air d’avoir très mal. Je sors mon couteau. Elle essaie d’arrêter de hurler, mais elle a trop mal, elle n’y parvient pas. Ses yeux sont presque révulsés de douleur. Pourtant je n’arrive pas à me concentrer sur ce que je fais. Je n’arrive pas à voir le nom du monstre en lettres de feu. Je n’arrive pas à avoir des flashes sur mon passé. Je deviens fou de rage. Je prends une pierre, je lui fracasse le crâne. Je la viole. Je lui enfonce un bâton dans le vagin. Un autre dans l’anus. Je lui écrase le visage à coups de pieds. Je lui arrache des morceaux de peau. Rien à faire. Le monstre m’échappe. Il m’a forcé à tuer une petite fille que je n’avais pas envie de tuer, et ça ne m’a rien rapporté. Rien du tout. Je l’ai tuée pour rien. Le monstre avait bien pris possession de mon corps, mais mon esprit ne voulait pas. J’ai fait des efforts en espérant obtenir ce que je voulais et réveiller des souvenirs, mais j’en ai été pour mes frais.
Je suis déçu. J’en veux au monstre. Pour la première fois je suis en colère contre lui. Cette petite fille avait l’air si gentille. Elle me parlait si amicalement. Si le monstre n’était pas arrivé, nous serions peut être devenus amis. Et j’ai du la tuer…
J’adore le vélo. C’est bien plus amusant que la marche à pieds. On va plus vite, mais il n’y a pas que cela. En roulant à vélo, je parviens à provoquer des flashes. Oh ils sont très courts, mais ce sont des flashes quand même.
Je revois une cour de ferme, de plus en plus précisément. Une fosse à purin où on entasse le fumier. Un coq blanc. Des poules brunes. Un dindon. Un banc sur lequel sont assises plusieurs personnes. Des hommes je crois, puisqu’ils fument la pipe. Mais je ne parviens pas à voir leurs visages ni à entendre leurs voix. Pourtant je les entends parler. Je sais qu’ils parlent. J’entends leurs voix. Mais je ne comprends pas ce qu’ils disent.
J’entends une cloche. Il fait chaud. Est-ce que c’est l’été ? Est-ce qu’il fait chaud dans cet endroit ou bien est-ce que cette chaleur que je ressens a un rapport avec le feu que je perçois dans mes flashes quand je tue ?
Je pédale. Je pédale comme un fou. Je ne fais attention à rien ni à personne. Je ne regarde même pas s’il y a des voitures sur la route. Je suis perdu dans mes pensées à essayer d’extirper mes souvenirs de mon cerveau. Je veux me souvenir. J’ai besoin de me souvenir. Mais les coups de pédales ne suffisent plus. Je sens que j’ai besoin de l’aide du monstre pour me souvenir. Je l’appelle, mais il ne se décide pas à venir. Pourtant j’ai tant besoin de lui. Je voudrais revoir cet incendie, entendre à nouveau ces cris. Etait-ce ma maison qui brûlait ? Etait-ce moi qui ai mis le feu ? Ai-je tué ma famille ? Est-ce pour cela qu’il n’y a jamais eu aucun avis de recherche me concernant ? Ai-je tué ma famille ?
Après avoir passé la nuit dans un bois, au frais, parce qu’il fait tellement chaud en ce mois de juillet, que je ne dors bien que dans les bois, je pousse mon vélo jusqu’à la fontaine du village tout proche. C’est un hameau plus qu’un village. Il m’a fallu rouler certainement plus de 20 km dans la forêt pour parvenir jusqu’ici. C’est vraiment très isolé. Il n’y a que le chemin forestier qui amène jusqu’ici et un autre tout petit chemin qui a l’air de monter vers les sommets. Et autour, rien que des champs, des prés et des bois. Ca devrait être agréable pour un esprit apaisé.
Je me rince à la fontaine, ensuite je bois jusqu’à plus soif. Une femme me regarde d’un sale œil. Mais je ne lui en veux pas, je sais que ma dégaine fait peur. Je lui fais un petit signe de la main. Elle détourne le regard. Je pousse ma bicyclette sur le chemin qui monte. J’arrive à un croisement, d’un côté le chemin qui grimpe vers la montagne et de l’autre, un chemin, une ancienne route en fait, mais dont le bitume est tellement abîmé que les herbes poussent dans les trous. Je ne pensais pas qu’il y avait une route ici. Je me demande où elle mène. Elle a l’air longue en tout cas. Et isolée. Pas une seule maison en vue. Rien que des champs, des bois, des prairies. Je monte sur mon vélo malgré les trous de la route. Je préfère rouler que pousser mon engin. Je me demande si je suis encore en France. Ou même si j’y étais avant. Finalement je n’ai toujours aucune réponse à mes questions les plus élémentaires et je ne sais même pas en quelle langue je parle et je pense. Est-ce que ça vaut vraiment la peine de continuer à vivre comme ça ?
Epuisé par le soleil, je me couche sous un arbre et m’endors. Lorsque je m’éveille le soleil a déjà pratiquement terminé sa course. Il fait presque soir. Je reprends mon vélo. Je peux rouler la nuit, il y a un phare et aucune voiture ne fréquente cette route perdue. Je roule encore pendant quelques heures. Combien, je ne sais pas. Je m’arrête lorsque je suis épuisé.
J’ai de la nourriture avec moi. Depuis le jour où j’ai arraché avec mon couteau, des lambeaux de chairs de la femme que j’ai tuée en arrachant la tête, il m’arrive souvent de tuer des animaux pour les manger. Et je garde les restes dans les fontes de mon vélo. Enfin du vélo de la dame. Comme ça j’ai de la nourriture pour plusieurs jours.