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Par Maïté, le 20.10.2014
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Date de création : 05.06.2014
Dernière mise à jour :
07.11.2014
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Kilian tourne mal.
Kilian était en train de mal tourner mais personne ne s’intéressait assez à lui pour le remarquer ou s’en inquiéter. Les éducateurs de Coat Saliou n’avaient pas envie que cela s’apprenne car leur intérêt était que le jeune garçon quitte le centre au plus vite. D’une part il y avait trop de pensionnaires et pas assez de personnel ni de subsides, et d’autre part, la présence de ce pédophile ici leur causait par trop de désagréments. En effet, depuis son arrivée ce n’étaient que bagarres, racket, viols… Ces choses se produisaient bien déjà auparavant, mais jamais aussi fréquemment que depuis son arrivée.
Le jeune garçon avait fini par lier connaissance avec deux autres adolescents accusés de viol âgés respectivement seize et dix sept ans. Si le premier n’était qu’un désaxé et un malade était également une crapule d’envergure ! A dix sept ans il avait déjà fait un séjour en prison, et s’il était ici c’était tout simplement parce qu’il n’y avait de place nulle part, pas même en prison pour lui. Frank, c’était son nom, était sensé aller à l’école, il en prenait le chemin, obligé comme les autres de monter dans le minibus du Centre, mais séchait les cours. Sa principale occupation était de traîner dans les rues, agressant des personnes, âgées et fragiles de préférence, pour leur dérober leur portefeuille, n’hésitant pas à jeter une vieille dame à terre après l’avoir roué de coups, mettant le feu aux poubelles, volant des voitures et les incendiant ensuite…
C’était Frank qui avait pris en quelque sorte les deux autres violeurs sous son aile protectrice. Il leur dispensait sa protection, à condition qu’ils l’accompagnent dans ses exploits et lui dispensent généreusement leur admiration ! Cela n’avait pas été tellement difficile ! Kilian était tellement influençable et ne voyait pas d’autre solution pour échapper aux sévices que lui infligeaient quotidiennement ses condisciples ! Et puis c’était plutôt amusant de se délecter de la peur des victimes qui se voyaient brutalisées après avoir donné leur portefeuille en tremblant… Cela faisait tellement de bien d’infliger à d’autres les peurs que lui avait eues et surtout à des adultes, qui ordinairement infligeaient eux les peurs, les coups et les punitions. C’était amusant de voir flamber une poubelle ou une voiture, cela soulageait un peu.
En fait Kilian n’allait pas plus à l’école que lorsqu’il vivait chez ses parents, mais les enseignants et les éducateurs ne s’en préoccupaient pas ! Ils voyaient de temps en temps le jeune garçon, il avait comme il fallait s’y attendre de très médiocres résultats, il échouerait fatalement et se retrouverait l’an prochain en professionnelle comme ses pareils ! Ensuite, il continuerait à échouer, pour finir par quitter l’école définitivement soit à sa majorité, soit lorsque prendrait fin l’obligation scolaire… Ce gamin, et d’ailleurs tous les gamins qui fréquentaient ce collège, dont la plupart étaient issus du centre d’éducation surveillée était de toutes façons perdus pour la société ! Pour ne pas désespérer les parents en leur assénant trop vite la nouvelle, on noterait dans le bulletin que le conseil de classe préconisait l’enseignement professionnel, que l’adolescent s’épanouirait certainement par la pratique d’un métier manuel, qu’il était capable de réussir et de devenir un bon ouvrier ou un bon artisan. On le dirigerait vers un autre collège poubelle dans lequel avec un peu de chance il obtiendrait avec un peu de complaisance, son certificat d’enseignement secondaire inférieur avant sa majorité, et dont au pire il cesserait de fréquenter les cours lorsque prendrait fin l’obligation scolaire à temps plein. Ce garçon là n’irait jamais en contrat d’apprentissage, cela se voyait à sa manière de sécher les cours. Il n’avait aucun sens des responsabilités et s’il séchait les cours, il manquerait aussi des journées de travail, finirait par ne plus être accepté par aucun patron, même en tant qu’ouvrier au plus bas de la gamme et deviendrait chômeur professionnel. A moins que, ses mauvaises fréquentations n’aidant, il terminerait en prison pour l’un ou l’autre coup foireux ayant mal tourné.
Kilian, quant à lui, ne cherchait pas aussi loin ! Il se contentait de se laisser vivre au jour le jour, sans plus essayer de comprendre ce qui se passait ni de prévoir ce qui risquait de lui arriver.
Il n’éprouvait aucune haine lorsqu’il agressait une personne ou détruisait un objet. Il le faisait comme si cela s’inscrivait dans l’ordre logique des choses. On lui faisait mal, donc il faisait mal. On ne lui parlait pas, on refusait de l’écouter et d’ailleurs il aurait été bien incapable de mettre un nom ou d’expliquer à qui que ce soit les sensations ou les sentiments qui l’envahissaient. Il y avait tant de choses qui se bousculaient dans son esprit, tant de choses qu’il avait eu envie d’expliquer à la psychologue de son ancienne école. Il pensait à ce moment là que même s’il n’était pas capable de s’exprimer convenablement, même s’il était incapable de mettre un nom sur ses sentiments, même s’il avait des problèmes d’élocution ou d’expression, la psy était elle capable de le faire à sa place, de lui extirper ce qu’il voulait essayer de communiquer et de comprendre ! Pour lui, c’était cela le travail de la psy ! En plus, il était coopératif ! Il ne demandait qu’à parler ! Il ne se faisait pas prier pour le plaisir, il était réceptif ! Sa seule envie était qu’un adulte parvienne à l’aider ! Malheureusement la psy, au lieu de l’aider l’avait envoyé ici !
Kilian ne comprenait toujours pas pourquoi il était placé. Pourquoi il avait été arrêté, mis en cellule toute une nuit, puis envoyé devant une juge qui l’avait traité comme s’il avait été le pire des criminels !
Même ici, il avait voulu montrer sa bonne volonté et aurait été prêt à discuter avec l’assistante sociale ou avec la psy, mais aucun des deux n’avait manifesté un quelconque intérêt au jeune garçon.
Une fois le délégué judiciaire imposé par la juge était venu le voir. Il lui avait parlé de sa mère, des problèmes qu’il lui posait et lui en avait fait reproche avant d’entamer une longue conversation avec la psy et l’assistante sociale, pendant que lui attendait sur une chaise dehors.
Ensuite, le délégué était revenu vers lui en lui expliquant qu’il viendrait le chercher la semaine prochaine pour l’audience de cabinet et qu’un internat serait proposé comme alternative au centre d’éducation surveillé pour la prochaine rentrée scolaire, puis lui avait enjoint de se comporter convenablement au Centre comme devant le juge et était reparti, sans que Kilian n’ait pu ouvrir la bouche.
Le jeune garçon ne comprenait pas. Tous ces gens étaient sensés s’occuper de lui, pourtant, personne ne lui adressait réellement la parole : on lui parlait juste pour lui donner des ordres, lui expliquer ce qu’il devrait faire, mais personne ne l’écoutait jamais, ne cherchait à comprendre ce qu’il y avait au fond de lui. Alors puisqu’on ne l’entendait pas lorsqu’il essayait de s’exprimer en paroles, peut être comprendrait on ses actes ?
Malheureusement, même là le jeune garçon en avait été pour ses frais, car ses actes s’ils étaient bien parvenus aux oreilles des éducateurs, n’avaient en revanche jamais été transmis au directeur, à l’assistante sociale, à la psy, au délégué, à ses parents et encore moins au juge.
- On ne dira rien, mais il faut que tu arrêtes ! Lui avaient enjoint les éducateurs. Il faut comprendre que nous ne pouvons pas faire en sorte que tu restes placé ici ! Il n’y a pas assez de place et puis, surtout ce n’est pas un endroit pour toi ! Il faut que tu rentres chez toi ou que tu ailles dans ce fichu internat, mais tu ne dois absolument pas rester ici ! Alors arrête ces bêtises avant qu’elles n’arrivent à l’oreille d’autres personnes.
Au centre.
Au centre, Kilian commençait tout doucement à trouver ce que l’on pouvait appeler ses repères.
Le jeune garçon était toujours persécuté par la bande des grands, qui lui rackettaient systématiquement les friandises, l’argent et les vêtements de marque que sa mère lui apportait ponctuellement le dimanche, sans qu’il n’ose lui expliquer ce qui se passait ! Vonnick en effet s’était fait une idée positive de ce centre. Elle imaginait que son fils était dans une sorte de mélange entre un internat et un centre de vacances, une sorte de Club Med pour jeunes délinquants. Elle pensait qu’il était surveillé, éduqué, pris en charge par des assistants sociaux, psychologues, éducateurs, et autres. C’était en tout cas ce que l’assistante sociale lui avait expliqué, et Vonnick y croyait ferme, bien qu’il n’en fut rien !
En réalité comme le lui avait expliqué un jeune garçon un peu plus âgé que lui avec lequel il avait lié connaissance, c’était normalement ainsi que les choses devaient se dérouler : les jeunes gens enfermés ici devaient voir un psychologue au moins une fois par semaine, malheureusement, le psychologue avait du travail ailleurs et ne faisait qu’à de rares occasions, par exemple lorsqu’un mineur ayant commis un acte digne d’être médiatisé arrivait au centre, acte de présence dans ce centre d’éducation surveillée dont il n’avait que faire. Comme il n’avait que faire des jeunes délinquants inintéressants qui le peuplaient !
C’était pareil pour l’assistante sociale. Il s’agissait d’une assistante sociale judiciaire qui travaillait pour plusieurs services à la fois. Elle se rendait également à domicile pour les enfants placés sous surveillance mais maintenus dans leur milieu familial ou travaillait en collaboration avec les écoles de ces enfants. Elle aussi préférait ce qu’elle appelait faire de la prévention et s’occuper des enfants qui pour elle étaient encore sauvables , ce qui excluait ceux qui étaient enfermés dans des centres d’éducation surveillée pour l’un ou l’autre délit ! Ceux-là, leur avenir était tout tracé : ils ne sortiraient du centre que pour recommencer leurs bêtises, y reviendraient de toutes manières et inéluctablement leur route se terminerait en prison ! Pas la peine de s’y attarder !
Quant aux éducateurs, c’était la « bonne planque » pour eux que ce centre: ils devaient se contenter de garder le troupeau et n’intervenaient que lorsque cela risquait vraiment de mal tourner…
Kilian sentait à la manière dont lui parlait sa mère lors des visites, que jamais elle n’accepterait de croire tout ce qu’il s’y passait réellement s’il le lui racontait ! Elle était sous le charme de l’assistante sociale qui lui faisait croire que le personnel faisait l’impossible pour structurer son fils, elle était persuadée qu’il était suivi, guidé par tous ces gens, alors qu’il n’avait jamais rencontré personne, si ce n’était le psy pour lui donner sa date de naissance et l’adresse de son ancienne école, et l’assistante sociale pour lui donner le nom du délégué social qui suivait ses frère et sœur à domicile afin de prendre contact avec lui.
De plus, Vonnick lui avait appris qu’une audience de cabinet allait avoir lieu prochainement chez la juge Le Gouriec et lui avait expliqué qu’elle allait lui demander si l’année prochaine il serait possible de l’envoyer dans un internat spécialisé où il pourrait choisir entre la mécanique, la construction ou l’ébénisterie. Elle avait déjà pris ses renseignements auprès du délégué judiciaire qui avait trouvé un internat en province qui pourrait lui convenir mais il fallait l’accord du juge pour que l’on puisse envoyer Kilian en internat plutôt que de le garder dans ce centre.
Kilian était fataliste, il avait bien compris que jamais plus il ne reviendrait à la maison, du moins pas autrement qu’en week end, mais après tout, pourquoi pas l’internat à la place du centre? Il ne pourrait qu’y être mieux traité.
De frère à frère…
Le téléphone sonna dans le bureau de Jean-Marc.
-Commissaire Navenec bonjour…
-Jimmy ? C’est JP ton frère unique et préféré…
Jean-Philippe Navenec, frère aîné de Jean-Marc était commissaire divisionnaire dans un autre arrondissement. C’était aussi l’ami d’enfance d’Yves Le Scoharnec avec qui il avait fait ses études, son service militaire et ses premiers pas dans la police.
-Salut JP ! Quoi de neuf ? On se voit toujours ce soir au snooker ?
-Oui. Mais ce n’est pas pour ça que je te téléphone. Je viens de déjeuner avec Yves. Ce n’est pas la grande forme. Il est tracassé par l’histoire… enfin l’affaire… enfin tu vois ce que je veux dire ?
-Mon téléphone n’est pas sur écoute tu sais ! Tu peux y aller franchement JP ! Tu veux parler de ce gamin placé à tort par Schuller qui commence vraiment à en faire trop ? Si c’est ça, je te rassure : moi aussi ça me perturbe et ça me tracasse ! Et je ne suis pas le seul.
-Écoute petit frère, je te comprends. Mais tu sais bien qu’on n’écarte pas un flic, même ripou, aussi facilement. Tu devrais le savoir. Tu es commissaire aussi. Tu ne t’es pas assuré quelques petites protections toi, au cas où…
-Au cas où quoi ? Tu me traites de ripou maintenant ? Tu me compare à ce pervers narcissique de Schuller ?
-Mais non idiot ! Au cas où tu te montrerais un peu trop violent par exemple… Comme ça t’es déjà arrivé !
-J’ai déjà déconné, mais jamais je n’ai foutu un collègue ou un innocent dedans…
-Non c’est vrai… tu n’en n’as pas besoin toi… ton frère et son ami d’enfance sont commissaires divisionnaires… tu ne risques pas grand-chose ! Mais Schuller lui est un gosse de la cité qui s’en est sorti. Il a pris ses marques. Il a fouillé un peu partout. Et quand on fouille dans Kerwaremm… on en trouve des choses pas vrai ?
-Attends… des choses sur qui ? Sur quoi ? Quel rapport entre ce gamin et les vieilles affaires ?
-Entre ce gamin et les vieilles affaires… probablement pas grand-chose… mais entre les flics qui pourraient faire tomber Schuller et les vieilles affaires, c’est là que le bât blesse, tu me suis ?
-Tu voudrais dire que Le Scoharnec ne pourrait rien faire contre les magouilles de Schuller parce que ce dernier serait au courant de choses qu’il aurait faites dans le passé ? Dans ce temps là ?
-Et pas seulement Le Scoharnec… la plupart des officiers supérieurs de cette génération a trempé là-dedans… tu me suis toujours ?
Jimmy eut l’impression de recevoir une douche froide. Il ne suivait que trop bien.
-Tu veux dire… toi aussi ?
Jean-Philippe ne répondit pas directement.
-Alors s’il te plaît, évite de faire du zèle pour un gamin de la cité, OK ?
Effondré Jean-Marc raccrocha. Il ne pouvait plus continuer cette conversation. Son propre frère, son modèle aurait été impliqué dans les affaires des années ’80 et sans doute avant ? Non. Ce n’était pas possible ! Et pourquoi pas son père et son grand-père tant qu’on y était ?
La radio se mit à crachoter. Un collègue en intervention expliquait au central qu’il poursuivait un suspect sur un pont… Jimmy saisit l’appareil et le projeta violemment contre le mur.
-Merde ! Putain de saloperie de merde ! Hurla-t-il.
La porte s’ouvrit.
-Tout va comme tu veux Jimmy ? C’était Tony. Jimmy n’était pas d’humeur à le supporter.
-Casse-toi ! Fous le camp ! Dégage ! Jimmy se leva brutalement, prit sa veste et sortit du bureau en trombe. L’air devenait de plus en plus irrespirable ici.
L’internat.
Vonnick revint à la maison la tête toute pleine des paroles de l’assistante sociale. Maintenant que celle ci lui avait expliqué son point de vue, effectivement Vonnick reconnaissait que celle ci avait parfaitement raison. Il était sûrement dangereux de faire reprendre à Kilian sa vie d’auparavant. Il recommencerait certainement à sécher les cours et à voler dans les grandes surfaces, à fréquenter la bande d’Orlando et tournerait certainement encore plus mal en devenant plus âgé ! Pour quelle raison changerait-il puisque l’assistante sociale et la psychologue affirmaient qu’il n’était pas structuré et qu’il ne faisait pas la différence entre le bien et le mal ? S’il recommençait ses bêtises en revenant à la maison, ce serait encore plus grave qu’auparavant ! Et Vonnick ne se sentait absolument pas de taille à affronter cela, ni à empêcher son fils de faire ses bêtises ! Maintenant il était placé mais la juge leur avait bien expliqué à François et à elle que lorsqu’il rentrerait il serait placé sous la surveillance d’un service social judiciaire qui viendrait régulièrement prendre de ses nouvelles et constater comment il évoluait dans son milieu familial et scolaire.
D’ailleurs un délégué était déjà venu à la maison, après que la juge eut pris une ordonnance de surveillance à l’encontre de ses trois enfants suite au rapport du commissaire Schuller indiquant que l’intérieur de son logement était immonde et que ses enfants s’y ébattaient tels de jeunes animaux ! Vonnick savait que ses trois enfants seraient surveillés et suivis jusqu’à leur majorité. Immédiatement après avoir appris qu’une déléguée devrait passer, la jeune femme avait fait changer le papier peint et avait demandé de l’argent à son père afin de racheter un salon, une salle à manger, ainsi qu’une chambre pour chacun des enfants. Ainsi, lorsque le délégué était passé, il avait pu constater que l’appartement était parfaitement propre, décent, et que chaque enfant disposait d’une belle chambre, contrairement à tout ce qu’avait raconté le commissaire Schuller.
Vonnick avait également placé la vieille télé du salon qui ne fonctionnait plus, dans la chambre de Kilian, pour démontrer au délégué que le jeune garçon avait tout ce qu’il pouvait désirer et n’avait nul besoin de voler pour s’offrir un CD ou autre ! Elle voulait convaincre tout le monde, à commencer par elle même, que son fils ne volait pas parce que ses parents n’avaient pas les moyens de lui offrir ce qu’il souhaitait, mais bien uniquement parce qu’il était influencé par les gamins du quartier.
D’ailleurs, lors de la prochaine visite du délégué, Vonnick lui parlerait de ce que l’assistante sociale et la psychologue du centre d’éducation surveillée avaient préconisé : un internat spécialisé dans l’éducation de jeunes gens à problèmes. Car, au fur et à mesure que les idées se formaient dans son esprit, Vonnick se rendait compte que tout compte fait le placement de Kilian dans ce centre n’était pas une si mauvaise chose ! Elle avait été choquée tout d’abord par la manière dont s’était déroulé l’arrestation et l’audience au cours de laquelle la juge avait décidé ce placement. Cette arrestation n’était pas nécessaire, et surtout elle ne s’attendait pas à cela. Elle avait culpabilisé pendant des journées entières en se demandant pour quelle raison la psychologue de l’école avait téléphoné à la police alors qu’elle n’avait fait que lui demander un conseil. Mais finalement Vonnick se rendait compte que maintenant que Kilian était parti, l’appartement était beaucoup plus calme! Il n’y avait plus ces perpétuelles disputes avec la voisine qui le traitait de pédophile et de violeur et provoquait l’affrontement à chaque fois qu’elle rencontrait le jeune garçon. Elle ne devait plus angoisser pendant la journée à se demander si oui ou non son fils était à l’école, s’il n’était pas allé accompagner Orlando et les autres dans quelque mauvais coup ! Si les choses avaient continué à évoluer ainsi, Kilian aurait fini par réellement mal tourner ! Dans le centre au moins, il ne risquait pas de faire des bêtises et on l’envoyait à l’école ! S’il séchait les cours ou s’en allait faire des bêtises, ce ne serait pas sa responsabilité à elle qui serait mise en cause, mais celle de l’État qui l’avait placé!
Il n’y avait plus ces pénibles disputes quotidiennes avec elle ou avec sa jeune sœur Janig pour l’une ou l’autre raison…
Non, il fallait bien le reconnaître, depuis le placement de Kilian le calme régnait dans l’appartement et elle était bien plus sereine ! Dernièrement encore, elle était partie en famille avec Janig et Naïk pour un week end à Eurodisney offert par son père, ce qui aurait été impossible si Kilian n’avait pas été placé ! S’il les avait accompagné, Dieu sait quelle bêtise il aurait été capable de faire, et jamais elle n’aurait osé le laisser seul à la maison. Avec uniquement son père pour le surveiller, autant dire personne, elle n’aurait pas été capable de s’amuser ni d’avoir l’esprit serein ! Vonnick se découvrait de nouvelles libertés et avait envie de s’en faire octroyer d’autres, après tout, elle avait presque trente cinq ans ! Elle n’avait pas encore beaucoup profité de la vie, car celle ci n’avait pas été facile tous les jours ! Maintenant que cela allait un peu mieux, il fallait qu’elle en profite un peu avant qu’il ne soit trop tard. Après tout, elle aussi avait été placée au cours de sa jeunesse car sa mère n’avait pas les moyens de s’occuper d’elle. Elle n’en n’était pas morte. Kilian aurait tout le temps d’en profiter plus tard, lorsqu’il serait adulte et subviendrait à ses propres besoins…
Il fallait que la juge Le Gouriec accepte d’envoyer Kilian en internat. Si c’était le cas, elle ne paierait qu’un tarif réduit en fonction de ses allocations familiales, comme si Kilian mangeait à la maison en quelque sorte.
Les éducateurs.
Le dimanche suivant, les parents de Kilian avaient reçu la permission de venir rendre visite à leur fils. Ils apportaient des vêtements et le jeune garçon fut tout surpris de constater que sa mère lui avait acheté plusieurs survêtements de marque, ainsi que des nouvelles baskets également de marque. Jamais auparavant Vonnick n’avait consenti à lui acheter des fringues aussi chères ! Des fringues qui lui auraient permis de briller dans le quartier auprès des copains de la bande à Orlando ! Il fut surpris également, lui qui à la maison ne recevait que des chocolats ou des chips de la marque la moins chère, (quand il en recevait ) de trouver un sac plein des meilleurs chips, chocolats, sodas et friandises ! Sa mère semblait s’être saignée aux quatre veines pour qu’il soit bien habillé et ait de quoi manger !
Pour l’instant, Vonnick était en train de déballer tout cela devant l’assistante sociale et l’éducateur de service, en lui expliquant qu’elle avait apporté à son fils de quoi grignoter et s’habiller décemment. L’éducateur semblait totalement s’en moquer, mais l’assistante sociale prenait consciencieusement note de tout ce que Vonnick expliquait ainsi que des réactions de Kilian.
Le jeune garçon écoutait d’une oreille distraite ce que la femme expliquait à sa mère : Kilian est parfaitement suivi ici, le diagnostic des psychologues qui l’ont examiné est que votre fils ne soit pas « structuré », il est incapable de faire la différence entre le bien et le mal, il n’a pas l’instinct de propriété et ne réalise pas que ce soit mal de voler…
- Les psy qui m’ont examiné ? Quels psys ? Se demanda le jeune garçon qui n’avait vu personne en dehors des éducateurs, du directeur et de la femme de ménage. Une fois encore, il voulut prendre la parole, mais sa mère lui intima immédiatement le silence. Tais-toi, laisses parler madame, c’est son rapport et celui des psychologues au sujet de ton comportement qui détermineront si oui ou non tu peux sortir d’ici ou si tu dois rester placé jusqu’à ta majorité !
Kilian se le tint pour dit. Si cette personne qui mentait à sa mère avec autant d’aplomb avait le pouvoir de le faire sortir d’ici et de convaincre la juge qu’il pouvait rentrer à la maison, autant s’attirer ses bonnes grâces et lui laisser raconter de lui ce qu’elle avait envie ! Il continua donc à écouter sagement, tout en dégustant un paquet de chips et en buvant une canette de soda.
- Oui, vous comprenez madame Magouero, votre fils a de gros problèmes d’adaptation. Pour l’instant il n’est pas prêt à intégrer la société. Il a subi trop de mauvais exemples. Oh, je le sais, ce n’est pas de votre faute, vous avez fait de votre mieux. Je conviens que sa place ne soit pas ici, mais ce qu’il lui faudrait ce serait un internat spécialisé dans l’éducation des jeunes garçons à problèmes. Sans quoi à la maison, il recommencera à sécher les cours, à voler dans les grandes surfaces et finira à nouveau placé, voir même en prison ! Si vous le souhaitez, nous pourrons en discuter avec le psychologue ainsi qu’avec l’assistante sociale déléguée par le juge de la jeunesse, et lui trouver un bon établissement pour l’année prochaine!
Vonnick buvait littéralement les paroles de l’assistante sociale. Oui, bien sûr, ce serait ça la solution ! Dans un internat il serait surveillé, il ne pourrait plus faire de bêtises, et sa responsabilité ne serait plus engagée au cas où il en ferait…
Kilian regarda sa mère, une nouvelle fois il eut envie d’intervenir et d’affirmer qu’il voulait rentrer à la maison, qu’il n’allait plus jamais sécher, ni voler, qu’il se conduirait bien mais qu’il ne voulait plus ni rester ici, ni aller à l’internat, mais Vonnick l’interrompit sur-le-champ en affirmant que de toute manière c’était ce qu’elle souhaitait depuis longtemps : lui trouver un internat capable de s’occuper de lui et de le remettre sur le droit chemin et que l’on allait présenter la chose au juge lors de la prochaine audience de cabinet.
Une première nuit mémorable.
Kilian pensait avoir tout vécu au cours de sa première journée au centre. Il n’avait pas songé à la nuit dans le dortoir.
Après le souper la majorité des garçons regardaient la télévision dans une grande salle, pompeusement baptisée salon, où trônaient quelques chaises branlantes et fauteuils éventrés. Les autres se rendaient immédiatement dans le dortoir. L’éducateur de garde s’efforçait de canaliser le plus tôt possible les garçons du salon vers le dortoir, afin de pouvoir rejoindre ses collègues et boire une bière ensemble avant d’aller dormir.
Ne sachant que faire, et sachant qu’il ne serait certainement pas le bienvenu dans le salon, Kilian se dirigea vers son lit dans le dortoir. Il se coucha en attendant que le temps passe et que les lumières s’éteignent. Il avait fermé les yeux, mais le sentiment d’une présence toute proche les lui fît rouvrir aussitôt. Une dizaine de garçons se tenait devant son lit. Certains ricanaient sournoisement. D’autres lui lançaient des regards haineux.
- Alors beau blond, on s’amuse avec les petites filles?
- C’était bon ? Ça fait quel effet de s’enfiler une gamine de cinq ans ?
Kilian les regarda sans comprendre. L’un des garçons, un des plus âgés du centre s’était assis sur son lit et avait retiré son drap.
- Moi j’ai envie de savoir quel effet ça fait avec un beau petit blondinet comme toi !
Un concert de gloussements lui répondit. Oui ! Nous aussi !
Un adolescent brun et trapu, plus petit que les autres mais ayant déjà le physique de l’homme qu’il serait plus tard repoussa son copain qui était assis sur le lit. Si vous permettez, je passe avant ! Honneur aux anciens !
Comprenant brusquement ce qui l’attendait, Kilian se prépara à bondir pour s’enfuir, mais deux autres garçons attendaient et le maintinrent cloué au lit pendant que le troisième s’amusait. Ensuite ce fût le tour de celui qui était assis sur le lit et qui avait du céder la place, et ainsi de suite…
Kilian s’était mit à hurler, appeler au secours, pleurer, supplier mais rien n’y fit, il n’échappa pas à son calvaire.
L’éducateur de garde, entendant des cris dans le dortoir, vint discrètement y jeter un coup d’œil et lorsqu’il vit ce qui était en train de se produire se précipita dans le salon où il expliqua aux garçons en train de regarder la télévision qu’il y avait de l’animation, puis s’en alla rejoindre ses collègues au réfectoire.
Lorsqu’il revint faire un tour dans le dortoir une heure plus tard, les lumières étaient éteintes et plus un seul bruit ne se faisait entendre, en dehors des sanglots contenus de Kilian.
Au centre d’éducation surveillée de Coat Saliou,
Cela faisait maintenant plusieurs semaines que Kilian était enfermé dans ce centre avec de véritables délinquants purs et durs, bien plus âgés que lui. Pendant la journée le jeune garçon devait suivre les cours dans un établissement où il était conduit en minibus ainsi que la plupart des autres pensionnaires.
Lorsqu’il était arrivé sous une pluie battante, dans un car de police devant la grande bâtisse délabrée, entourée par une pelouse, un maigre bosquet et un terrain de foot où plus une seule touffe d’herbe n’apparaissait, Kilian n’avait toujours rien compris à ce qui lui arrivait, ni ce qu’il faisait là.
Il n’avait pas compris ce que la juge Le Gouriec entendait par placement en centre d’éducation surveillée, éloignement du milieu familial, etc. Ce n’est qu’en entendant la juge ordonner aux policiers de le conduire dans l’immédiat au centre Coat Saliou qu’il avait compris qu’il ne rentrerait pas à la maison.
Mais pourquoi ? Qu’avait-il fait de mal ? La juge ne lui avait même pas posé la moindre question sur ce qui s’était passé avec Meghann et Tugdual, comme si cette histoire qui avait été l’élément déclenchant de tous ses problèmes n’avait plus la moindre importance…
Pourtant, dans sa cellule cette nuit il avait compris son erreur. Il avait compris qu’il avait eu tort de s’inventer des histoires pour se rendre intéressant ou dans l’espoir que quelqu’un s’intéresse enfin à lui, à sa vie et à ses aspirations. Il avait compris qu’il n’intéressait personne en réalité, et que personne n’avait la moindre envie de s’occuper de lui ni de l’aider ! Durant cette nuit d’insomnie il s’était juré d’expliquer toute la vérité au juge ainsi que de lui expliquer pourquoi il avait varié dans ses déclarations et menti. Mais voilà, la juge ne lui avait même pas posé la moindre question…
Le jeune garçon avait été accueilli par un éducateur, un jeune homme d’une trentaine d’années, blond aux yeux bleus, barbu et vêtu d’une sorte de survêtement de jogging passé de mode. Le jeune homme l’avait conduit à travers un dédale de couloirs dont la vilaine peinture verte s’écaillait jusqu’à un immense dortoir où il lui avait montré où se trouvait, ainsi que la partie de l’armoire métallique dans laquelle il pouvait ranger ses vêtements. Malheureusement, on ne lui avait pas laissé le temps d’emporter grand chose ! Kilian ne possédait que ce dont il était vêtu. Ensuite le même éducateur l’avait emmené à la cantine pour le repas de midi. La nourriture était infecte et l’ambiance n’était pas au beau fixe. Il était le plus jeune du centre, la majorité des pensionnaires étant des adolescents de seize à dix huit ans, bien plus grands que lui et qui l’accueillirent sous les quolibets de « Pédophile, détraqué, violeur de gamine, on va te faire la peau ! »
Kilian avait essayé de se faire aussi petit que possible, mais les autres n’avaient pas du tout l’intention de l’oublier ! Il fallut que l’éducateur libère une place, car aucun des jeunes présents ne voulait manger à côté du pédophile. Lorsqu’il fut enfin assis, Kilian ne put rien avaler, outre qu’il ne se sentait pas vraiment à sa place dans ce centre, ses voisins de table ne cessèrent de lui faire subir toutes sortes de tracasseries. Cela commença par le garçon juste à côté de lui qui feint de lui renverser par mégarde son verre d’eau sur ses genoux. Ensuite le gros garçon de l’autre côté de la table qui lui planta sa fourchette dans le dos de la main : un peu de sang se mit à perler mais Kilian n’eût pas le temps de se préoccuper de sa main, le garçon aux cheveux rasés, assis à côté de lui, jeta son assiette à terre. Pendant qu’il se penchait pour la ramasser, un autre lui asséna un maître coup de poing dans le dos qui le fit suffoquer.
En quelques minutes, la mêlée devint générale à la longue table où était assis le jeune garçon et lorsque les éducateurs se décidèrent à intervenir parce que cela faisait vraiment trop de bruit, Kilian était au bord des larmes, ses vêtements souillés par la nourriture et le sang qui avait coulé de sa main et trempé de surcroît. Un jeune éducateur qui semblait à peine plus âgé que lui, proposa à Kilian de venir s’asseoir à leur table pour terminer son repas. L’éducateur en chef et les autres s’y refusèrent après s’être consultés du regard d’un air horrifié. Le petit pédophile n’avait qu’à assumer les conséquences de ses actes et commencer par apprendre que même dans les centres d’éducation surveillée et dans les prisons, on haïssait les violeurs d’enfants, cela au cas où il aurait envie de remettre ça plus tard ! Un autre surveillant lui ordonna d’aller se changer, mais comment puisqu’il n’avait rien !
Une femme de ménage qui ramassait les plats et les assiettes, apitoyée par sa triste mine se chargea de lui dénicher un vieux tee shirt et un pantalon un peu trop grands pour lui, mais propres.
Après le déjeuner, ne sachant que faire, Kilian se mit à errer dans le centre. Pas longtemps toutefois car il fut vite rejoint par la bande de tout à l’heure, qui se mit une nouvelle fois à le poursuivre en le traitant de tous les noms. Le jeune garçon s’enfuit dans la cour, mais fut rapidement rattrapé par les adolescents en furie qui le traitèrent de lâche, de violeur, de pédophile...
Les responsables n’intervinrent pas lorsque Kilian se fit passer à tabac par la bande qui ne lâcha prise que lorsque le jeune éducateur de tout à l’heure et la femme de ménage arrivèrent à la rescousse.
Kilian fut immédiatement conduit par l’éducateur en chef dans le bureau du directeur du centre. Ce dernier lui tint un curieux discours. Alors mon jeune ami, à peine arrivé il faut que tu cherches à te distinguer ? L’acte infamant que tu as commis devrait t’inciter à plus de modération et de discrétion ! Il vaudrait mieux que tu passes inaperçu désormais et que tu cesses de faire parler de toi ! Dès demain tu iras à l’école, mais je te préviens tout de suite : si tu causes encore le moindre remous dans mon centre, je te fais transférer illico presto dans un centre fermé, dont tu ne sortiras même pas pour aller à l’école, et je m’arrangerai pour que les visites des parents soient interdites suite à ton comportement !
Estomaqué, Kilian ouvrit la bouche pour répondre que ce n’était pas de sa faute, qu’il avait été immédiatement pris à partie par les garçons du centre, puis se ravisa. A quoi bon essayer de se faire entendre ? A quoi bon essayer d’expliquer ce que personne n’avait envie de comprendre ?
Dès le lendemain, le jeune garçon avait été envoyé à l’école : une sorte de collège poubelle que ne fréquentaient que les garçons du centre et d’autres laissés pour compte dont ne voulaient pas les établissements traditionnels. L’atmosphère qui régnait dans cet endroit était pire encore qu’au centre ! Au collège également sa réputation l’avait déjà précédé, tant auprès des profs que des autres élèves. Kilian se faisait conspuer, bousculer, frapper, insulter sans que qui que ce soit n’intervint. Son quotidien était devenu un véritable enfer. Il n’avait qu’une seule envie, appeler sa mère et la supplier de venir le chercher, il ferait tout ce qu’elle voudrait, plus jamais il ne sortirait, il ne fréquenterait plus Orlando et la bande, il irait régulièrement à l’école, il ne raconterait plus jamais de mensonges pour essayer de se rendre intéressant… Malheureusement, Kilian n’avait pas le droit de téléphoner à ses parents, ils viendraient dimanche, s’il se comportait correctement !
Yves Le Scoharnec
-Je ne peux pas intervenir dans les dossiers de Schuller à moins d’avoir un élément probant contre lui. C’est son enquête ! C’est son service ! Même si je ne l’aime pas et si je n’ai plus confiance en lui. Martela Yves.
Le commissaire Le Scoharnec était sur les nerfs. Il savait bien que Jean-Marc avait très certainement raison. Mais pour attaquer un commissaire chef de service, il fallait des preuves. Et des preuves tangibles ! Schuller était un pervers. Il savait assurer ses arrières. Que pouvait-il répondre à Jean-Marc ? Qu’il était au courant des magouilles de Schuller visant à retirer un maximum d’enfants de la cité à la garde de leurs parents, mais qu’il n’avait rien de solide sur quoi étayer ses éventuelles accusations ? C’était vrai. Mais Jean-Marc ne l’accepterait pas. Quel père de famille pourrait accepter une telle abomination ?
Ce n’était pas facile d’être commissaire principal. Lui aussi avait des sentiments. Lui aussi se faisait une certaine idée du métier au moment où il était devenu flic. Une certaine idée qui avait fini par voler en éclats au fil des années. Il n’était pas devenu flic par vocation, mais quand même… Ce métier était loin de représenter ce qu’il imaginait lorsqu’il était plus jeune. Depuis les PV que l’on faisait sauter jusqu’aux affaires que l’on étouffait, en passant par la corruption due au pouvoir politique, les dysfonctionnements, les ripoux et les flics violents, la police était encore plus moche à l’intérieur que ce que ses pires détracteurs en disaient. Principalement à Kerwaremm! Lorsque jeune flic il y avait plus de vingt ans, il était arrivé dans ce commissariat de la capitale de Nirgends, jamais il n’aurait imaginé ce qu’il allait vivre et ce dont il serait témoin par la suite. En arrivant ici avec ses rêves ambitieux, il avait mis le doigt dans un engrenage dont il n’avait plus jamais su s’échapper.
En réalité, Yves était plus triste qu’en colère. C’était quand même un peu sa faute si on en était arrivé là. Aurait-il du parler dès les premiers signes? Certainement, mais ç’aurait été au prix de sa carrière. Et encore n’aurait-il pas été sûr de faire tomber Duclos-Rincent et surtout ce qui se cachait derrière lui. Il réalisait à quel point il était loin en constatant que même Jean-Marc finissait par être choqué par toutes ces magouilles. Lui qui avait tellement longtemps fait semblant de rien. Mais comment revenir en arrière ? C’était impossible.
-Je suis désolé Jean-Marc. Je ne t’empêche pas de mener une enquête en interne, mais là comme ça, je ne peux rien faire. Si tu me trouves des preuves, mais des vraies preuves solides, alors je verrai ce que je peux faire. Je te le promets.
-Tu verras ce que tu peux faire… Parce que tu n’es même pas encore certain de pouvoir… ou de vouloir ? faire quelque chose ?
- Ne dis pas ça Jean-Marc. Pour moi aussi Schuller a été trop loin, mais tu sais bien ce qui s’est passé la dernière fois où j’ai voulu débarrasser la police d’un ripou… en ayant des preuves ! J’ai eu toutes les peines du monde à m’en sortir moi-même. Alors imagine avec un pervers comme Schuller.
Jean-Marc regarda son ami avec lassitude. OK j’ai compris. Salut chef ! Bonne après-midi quand même ! Que le sort d’un gosse placé à tort ne te gâche pas la journée ! Puis il quitta le bureau en faisant claquer la porte.
-Ben qu’est ce qui lui arrive ? Fit Max en entrant dans le bureau à son tour. Il est pas bien de faire tout ce raffut l’autre zombie?
Yves soupira. Comme à son habitude, il remonta sa mèche blonde d’un mouvement de tête. Que répondre à Max ? La vérité sur les magouilles passées et présentes dans la ville de Kerwaremm? Certainement pas. Max était aussi un flic honnête. Il n’aurait pas supporté. Et puis… leur amitié ne survirait pas à ce qu’il pourrait découvrir.
-Laisse tomber Max. Tu sais comment est Jimmy ! Il râle toujours pour quelque chose.
-Mwouais… Rétorqua Max. Mais d’habitude ça ne t’attriste pas autant. C’est si grave que ça ?
-Bof. Non. Enfin si. Oh laisse tomber ! Tu veux un café ?
-Voilà qui est clair… Occupe-toi de tes fesses Max, t’es pas assez gradé pour jouer dans la cour des grands !
Voilà qu’il se vexait à présent.
-Ce n’est pas ce que je voulais dire… Tu prends toujours tout mal… Mais Yves ne parvint pas à soutenir le regard bleu perçant de son ami. Il n’était pas fier de lui. Il n’était pas directement responsable des agissements de Schuller, mais si… s’il n’avait pas commis ou laissé commettre certains actes, Schuller ne se sentirait pas si fort. Il ne se croirait pas tout permis. Et surtout il ne croirait pas bien faire en agissant comme il le faisait. Il était persuadé de sauver des gosses de leur milieu, de ce qui pourrait leur arriver… Quelle connerie !
Max déposa le dossier qu’il était venu apporter sur le bureau de son ami et quitta le bureau, laissant Yves désemparé.
Jean-Marc Navenec.
Cela faisait plusieurs jours que Tony l’évitait, mais ce n’était pas l’unique raison de la mauvaise humeur du commissaire Navenec. Il comprenait la colère de son ami face à ce qu’il prenait pour de la lâcheté. Tony était jeune, entier. Il avait encore un idéal. Il n’avait pas encore compris que la police n’était pas parfaite et que la Justice ne rendait pas nécessairement justice. Lui aussi avait été ainsi. Au début. Mais moins longtemps que son ami car il avait l’avantage, ou l’inconvénient, d’être fils, petit-fils et frère de flic. Il avait vite déchanté. Il avait perdu ses illusions bien plus rapidement que Tony. Et contrairement à Tony, il n’était pas entré dans la police par vocation, mais bien pour suivre la lignée, la tradition. Pour être respecté par son père et par ceux qui l’avaient précédé.
Jean-Marc se demandait si ce qui le mettait en colère était la naïveté de son ami qui persistait à s’imaginer que l’on pouvait passer au dessus de la corruption, des pratiques douteuses ou le fait que s’il y avait plus de gens comme Tony… on finirait par réussir à combattre la corruption et les dysfonctionnements policiers et judiciaires ! Navenec haussa les épaules. Non. C’était ridicule ! On ne pourrait jamais combattre ces fléaux puisque le pouvoir politique dominait tout cela et lui était impossible à combattre, à déstabiliser. Un policier honnête terminait immanquablement sur une voie de garage. Surtout ici, dans Kerwaremm.
Sa conscience lui souffla à l’oreille qu’il s’agissait tout de même d’un gosse de treize ans. Probablement innocent. Probablement accusé à la place d’un autre petit pervers manipulateur. Il avait un fils du même âge. Pouvait-il vraiment laisser passer ça sans rien faire, sous prétexte que Schuller dictait sa propre loi dans la cité Kerfontaint et faisait semblant de ne pas comprendre que les petites victimes confondaient les deux garçons parce qu’il estimait que Kilian n’était pas à sa place dans sa famille ? Parce que c’était cela dont il s’agissait. Schuller avait parfaitement compris ce qui se passait, mais il estimait de son devoir de retirer un à un tous les gosses de la cité à leurs parents. Chaque fois que son service intervenait auprès d’une famille, immanquablement le ou les enfants terminaient placés. Tony le lui avait fait remarquer, mais également Christian Clouarec et Bertrand Tomasini… le propre beau-frère de Martin Schuller. C’était cela le pire. Schuller avait fait des confidences à Tomasini qui en avait été extrêmement choqués. Navenec l’avait entendu discuter l’autre jour à ce sujet avec Tony, Bob et Christian. Tony avait raison. Il ne pouvait pas laisser faire ça.
La juge de la jeunesse, Le Gouriec.
Le lendemain matin, après une nuit blanche passée à se demander ce qui allait lui arriver, Kilian fût tiré de sa cellule sans ménagement par deux policiers en uniforme. Derrière eux, Schuller les regarda passer les menottes au gamin qui n’en menait pas large. Un petit sourire narquois, vite effacé, passa sur ses lèvres.
Moins d’une heure plus tard, Kilian se retrouva devant la juge de la jeunesse Le Gouriec, en charge de son dossier dans le bureau de laquelle se trouvaient déjà ses parents.
La juge Le Gouriec était une femme, froide, peu sympathique, impersonnelle. Le type même de la vieille fille frustrée, songea le jeune garçon en la regardant de côté pendant que le flic lui enlevait les menottes.
Elle commença par apostropher violemment Vonnick en lui reprochant sa manière de tenir un appartement. Votre appartement est un vrai trou de cochon, comment est ce possible ? Comment une mère peut elle à ce point négliger ses enfants ? Vous ne vous imaginez tout de même pas j’espère que dans de telles conditions je vais laisser Kilian rentrer à la maison avec vous ! J’ai décidé qu’il serait placé dans un centre d’éducation surveillée. Des éducateurs spécialisés le prendront en charge et pourront faire le point sur votre situation familiale. Votre appartement sera visité par un délégué de la protection de la jeunesse et un suivi social et judiciaire sera instauré à l’égard de vos trois enfants. Estimez-vous heureuse que je ne vous retire pas la garde de vos deux autres enfants et tâchez à l’avenir de vous comporter en mère digne de ce nom…
Ulcérée, Vonnick n’entendit pas le reste de la discussion et laissa l’avocat commis d’office de Kilian discuter avec la juge sans prendre part à la conversation. François, lui, restait figé sur sa chaise, incapable de proférer le moindre son.
Qu’était ce donc que cette histoire ? « Dans de telles conditions, un trou de cochon, centre d’éducation surveillée » mais qui avait pu mettre de telles idées dans la tête de cette juge, dont leurs têtes à eux ne lui revenait visiblement pas !
Vonnick et François allaient le comprendre quelques jours plus tard, quand après s’être fait payer un avocat par son père, ils eurent été ensemble consulter le dossier au greffe du Tribunal de la Jeunesse. Le commissaire Martin Schuller ! Son rapport était suffisamment révélateur « Ce garçon vit dans un climat malsain. Il ne peut pas trouver ses repères dans un tel milieu étant donné que sa mère vive en concubinage avec l’ex mari de sa propre mère à elle qui l’a élevée pratiquement comme un père. Cette situation sans être réellement incestueuse en a les apparences et n’est pas propre à donner à Kilian une image familiale décente. Leur logement est immonde et désordonné, les trois enfants y sont élevés tels de jeunes animaux par des parents démissionnaires, sans aucune autorité et incapables de leur édicter des principes. »
Vonnick était révoltée. Comment le commissaire Schuller avait il pu mentir ainsi ? C’était insensé ! Mais qu’avait-il été raconter ? Et pourquoi avait-il fait cela ? Ne pouvait-on vraiment faire confiance à personne au sein de la société ? La psychologue de l’école, le commissaire Schuller, la juge Le Gouriec, aucun des trois ne s’était montré réellement objectif dans le cadre de cette affaire. Aucun d’entre eux n’avait laissé la moindre chance à Kilian et à sa famille.